Page:Austen - Emma.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étonnée : non seulement il n’y avait pas de fautes de grammaire, mais la lettre était digne d’un homme d’éducation ; le ton tout en restant simple était sincère et convaincant et tous les sentiments exprimés faisaient honneur à celui qui l’avait rédigée ; Harriet observait attentivement son amie et dit enfin :

— Eh bien, la lettre vous paraît-elle bien ?

— C’est, ma foi, une lettre fort bien tournée reprit Emma, et je suis portée à croire que ses sœurs ont dû y collaborer. J’imagine difficilement que le jeune homme que j’ai vu causer avec vous l’autre jour puisse, livré à ses propres moyens, s’exprimer avec tant d’élégance. Pourtant ce n’est pas le style d’une femme : c’est trop concis et vigoureux. Évidemment ce jeune homme a du bon sens ; il pense clairement et quand il prend la plume il trouve les mots appropriés.

Elle ajouta, en rendant la lettre :

— Vraiment cette lettre surpasse de beaucoup mon attente.

— Eh bien ? Eh bien ? Que dois-je faire ?

— À quel point de vue ? Voulez-vous dire relativement à cette lettre ?

— Oui.

— Mais il faut y répondre, bien entendu, sans délai.

— Que dois-je dire ? Chère Mlle Woodhouse donnez-moi votre avis.

— Non, Harriet, écrivez votre réponse en toute liberté ; l’essentiel est de vous faire clairement comprendre : il ne faut pas d’équivoque, pas de doute, pas de sursis ; quant aux expressions de reconnaissance et de regret pour le désappointement que vous causez elles vous viendront tout naturellement sous la plume.

— Alors… vous trouvez que je dois refuser, dit Harriet en baissant les yeux.

— Si vous devez refuser ! Ma chère Harriet, que voulez-vous dire ? Il y a un malentendu entre nous, puisque vous avez un doute sur le sens même de votre réponse ; je croyais, moi, que vous me consultiez simplement sur la forme et je vous demande pardon de m’être avancée de la sorte.

Harriet demeura silencieuse et Emma reprit avec une certaine réserve.