Page:Austen - Emma.djvu/65

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— Je ne demanderais pas mieux que de réaliser votre désir, dit Emma, mais je ne puis imaginer aucun prétexte plausible pour entrer : pas d’enquête à faire sur un domestique ; j’aurais alors une raison pour interroger la femme de charge ; pas de message de mon père…

Après quelques instants de silence, Harriet reprit :

— Je me demande, Mademoiselle Woodhouse, comment il se fait que vous ne soyez pas mariée ou sur le point de l’être, séduisante comme vous l’êtes !

Emma se prit à rire et répliqua :

— Admettons que je le sois, en effet, Harriet : ce n’est pas une raison suffisante pour me pousser au mariage. Non seulement je ne suis pas à la veille de me marier, mais encore je n’ai guère l’intention de me marier jamais.

— Vous le dites, mais je ne puis le croire.

— Il faudrait pour me faire changer d’avis, que je rencontrasse quelqu’un de très supérieur à tous ceux que j’ai eu l’occasion de voir jusqu’ici (M. Elton, naturellement, est hors de cause) et à dire vrai je ne désire pas rencontrer ce phénix : je préfère ne pas être tentée. Je ne puis que perdre au change et si je me décidais à me marier, j’en aurais probablement du regret par la suite.

— Vraiment, je ne m’explique pas qu’une femme parle de la sorte !

— Je n’ai aucune des raisons habituelles qui incitent les femmes à se marier. Si je m’éprenais de quelqu’un, alors ce serait tout différent ; mais, jusqu’à présent je suis demeurée indemne et je crois vraiment qu’il n’est pas dans ma nature de m’enthousiasmer. Sans le mobile de l’amour, je serais bien sotte d’abandonner une situation comme la mienne : je n’ai besoin ni d’argent, ni d’occupations, ni d’importance