Page:Austen - Emma.djvu/74

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servées

l’empêchaient au premier abord de paraître aimable, et il était susceptible de marquer, à l’occasion, quelque mauvaise humeur : sa femme, du reste, avait pour lui une véritable idolâtrie qui contribuait à développer cette tendance ; elle accueillait avec une douceur inaltérable les manifestations souvent brusques des opinions maritales. Sa belle-sœur n’avait pas pour lui une bien vive sympathie ; aucun de ses défauts n’échappait à la clairvoyance d’Emma ; elle ressentait les légères injures infligées à Isabelle et dont celle-ci n’avait pas conscience. Peut-être eut-elle témoigné moins de sévérité à l’égard de son beau-frère si ce dernier s’était montré mieux disposé pour elle, mais ses manières étaient au contraire celles d’un frère et d’un ami qui ne loue qu’à propos et que l’affection n’aveugle pas. Elle lui reprochait surtout de manquer de respectueuse tolérance vis-à-vis de son père : les manières de M. Woodhouse faisaient parfois perdre patience à M. John Knightley et provoquaient chez lui un rappel à la raison ou une réplique un peu vive. Cela arrivait rarement, car, en réalité, il avait parfaitement conscience des égards dûs à son beau-père ; trop souvent cependant pour conserver la bienveillance d’Emma qui ne cessait d’appréhender quelque parole offensante au cours de leurs conversations. Le début néanmoins de chaque visite était toujours parfaitement cordial, et celle-ci devant par nécessité être extrêmement brève, il était permis d’espérer que nul ne se départirait des sentiments actuels d’effusion.

Il n’y avait pas longtemps qu’ils étaient assis ensemble lorsque M. Woodhouse, en secouant mélancoliquement la tête et en soupirant, fit remarquer à sa fille le changement qui s’était produit depuis son départ.