Page:Austen - Emma.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

reconnaître que nous étions tous les deux bien intentionnés, et je désire savoir si M. Martin n’a pas été cruellement désappointé.

— Il est impossible de l’être plus.

— Vraiment ! Je le regrette beaucoup. Allons, serrons-nous la main.

Cette effusion venait de prendre fin, quand Jean Knightley fit son entrée ; et les : « Comment va Georges ? Jean, comment allez-vous ? » se succédèrent selon la vraie tradition anglaise ; ils cachaient sous une froideur apparente leur réel attachement qui aurait conduit chacun à faire tout pour le bien de l’autre.

La soirée se passa tranquillement et M. Woodhouse se refusa à jouer aux cartes pour se consacrer tout entier à la conversation de sa chère Isabelle. La petite société se divisa en deux parties : d’un côté M. Woodhouse et sa fille, de l’autre les deux messieurs Knightley. Les sujets de conversation respectifs ne se mêlaient que très rarement ; Emma se joignait alternativement à l’un ou à l’autre groupe.

Les deux frères parlaient de leurs affaires, mais surtout de celles de l’aîné comme magistrat, celui-ci avait souvent à interroger son frère sur quelque point de droit, ou bien une anecdote curieuse à raconter ; comme fermier dirigeant l’exploitation du domaine de famille, il était tenu de dire ce que chaque champ devait produire l’année suivante et de donner toutes les informations locales susceptibles d’intéresser son frère : les questions que ce dernier posait relativement au plan d’une canalisation, au changement d’une barrière, à l’abatage d’un arbre, témoignaient du soin avec lequel il suivait tous les détails des travaux agricoles. Pendant ce temps, M. Woodhouse échangeait avec sa fille des regrets attendris et des propos de tendre inquiétude.

— Ma pauvre chère Isabelle, dit-il affectueusement en prenant la main de sa fille, interrompant quelques instants l’ouvrage destiné à un des cinq enfants, comme il y a longtemps que nous n’avons été réunis ici et comme vous devez être fatiguée du voyage ! Il faudra vous coucher de bonne heure, ma chère, et je vous