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avec le ton et l’air d’une entière liberté d’esprit et de cœur, tandis que celui d’Alice battait bien fort lorsqu’elle entendait parler de l’époque où commença ou finit leur liaison.

C’est en l’an 6 que je me remis sur mer, disait-il la première fois qu’ils se trouvèrent ensemble ; c’est en l’an 6 que je vins dans ce pays ; c’est en l’an 6 que je pris la résolution de me faire tuer ou de m’enrichir, etc. Cet an 6, si bien gravé dans la mémoire d’Alice, ne paraissait pas l’être moins dans celle de Wentworth ; ils semblaient alors avoir une association d’idées et de souvenirs, mais non de sentimens ; Wentworth parlait de cette année, comme de toute autre, avec indifférence et gaîté ; Alice ne pouvait l’entendre nommer sans battemens de cœur et sans être obligée d’étouffer un soupir.

Ils n’avaient ensemble aucune conversation, aucune entrevue autres que celles que la civilité exige : autrefois tout l’un pour l’autre, actuellement rien. Elle se rappelait le temps où, même au milieu d’une société nombreuse, il leur eût été difficile de cesser de se parler : aujourd’hui, sans se rechercher, sans s’éviter, ils n’étaient pour eux-mêmes que l’objet d’une froide politesse. L’heureux ménage de l’ami-