Page:Bégule - L’Abbaye de Fontenay et l’architecture cistercienne.pdf/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
-( III )-

et une grande forge, qui était la maison de travail. Symbole permanent et toujours vivant d’un emploi de la vie.

En ce qui regarde l’art cistercien, dont Fontenay est l’un des seuls exemplaires sans faute, on peut certes penser que le rigorisme de saint Bernard est exagéré et qu’il ne convient qu’à des êtres de perfection. Il faut concéder que l’ascétisme, transporté à ce point dans l’art, restreint singulièrement l’ample et nécessaire contact de l’artiste avec la nature ; il ne peut employer ainsi que partiellement ses infinis trésors. Aussi bien, il fallait attirer le peuple dans l’église, par ces musées harmonieux, en étroite union avec l’architecture, que constituaient au moyen âge les sculptures, les vitraux et les fresques ; par toutes ces illustrations matérielles de la foi, qu’un Concile appelait : la Bible des illettrés, et Dante, d’un mot merveilleux : visibile parlar[1]: la parole visible.

Cependant, la sévérité de l’art préconisé, ou plutôt ordonné par saint Bernard, a eu son très grand avantage et son influence pour arrêter sur la pente de la recherche trop prompte du décor, auquel on recourt toujours assez tôt ; de ce décor abondant, vite insignifiant, qui flotte à la surface de l’œuvre et ne s’y incorpore pas. Trop souvent le décor architectural ne jaillit pas de la construction elle-même ; il devient le moyen de déguiser des fautes ou de suppléer au vide de l’expression. En interdisant l’image et l’ornement à l’architecte cistercien, saint Bernard l’a obligé à se confiner en ce qui est l’essentiel, c’est-à-dire le pur dessin et la mesure de la ligne ; puis à dégager, de l’ensemble des lignes, leur proportion. On a dit que le Parthénon n’était que le génie dans les proportions ; saint Thomas d’Aquin se rapproche de cette pensée, en définissant l’art : la clarté dans une juste proportion. C’est considéré à ces lumières que Fontenay représente une œuvre d’art sincère, clair reflet d’une conception monacale de son temps, émouvante par la perfection absolue des simples lignes de son église ; par la sobre beauté de ses cloîtres robustes supportés par deux cent cinquante colonnes infiniment variées dans leur unité générale, dans lesquels se jouent les magies de l’ombre et de la lumière ; par ses salles capitulaires d’une sobre élégance. Une ornementation sommaire des chapiteaux d’un dessin très abstrait, reproduisant surtout les feuilles lancéolées des plantes aquatiques de la vallée, vient y rompre partout l’uniformité. Le monument ayant été construit presque d’un seul coup, en

  1. Divine Comédie : Purgatoire, chant X, vers 95.