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Il fut reçu au Caveau en 1813, et là, condamné comme ses confrères à payer son écot en couplets, il y porta sa curiosité sceptique, son imagination active, son style coloré et vrai, sa versification savante, son riche vocabulaire. Mais pendant longtemps encore il n’osa confier au refrain que sa gaieté et ses sens. C’était un esquif trop frêle, pour risquer d’autres sentiments plus précieux. Bon convive, véritable enfant de la joie, camarade loyal et gai, il fut le vainqueur facile de l’excellent Désaugiers, qui ne s’en inquiétait guère, et il atteignait bientôt au sublime délirant des sens, de l’ivresse et de la folie. La Bacchante, la Grande Orgie, sont ses chefs-d’œuvre d’alors. Mais le poëte tenait encore à part toutes ses arrière-pensées de patriotisme, de sensibilité et de religion, tant de germes tendrement couvés, qu’une fausse honte peut-être refoulait bien avant dans son cœur. Béranger devait être le chantre consécrateur des vaincus et des morts, le barde des héros modernes ; mais il fallait Waterloo, pour qu’il osât obéir à son inspiration. Dans ce temps de doute ironique et de folle gaieté, où son esprit se ployait presque sous le joug de ses caustiques camarades, ses convictions intimes, son indépendance politique, restaient inébranlables. Il refusa, dans les cent-jours, naturellement et sans se croire un Brutus, les fonctions lucratives de censeur.

Béranger, dans ses études sur les sentiments qui éveillent l’harmonie intérieure dans l’âme humaine, avait remarqué bien des fois la disposition mélancolique des hommes réunis en grand nombre, et en avait conçu l’idée de la chanson doucement sérieuse, à l’usage du pauvre, de l’affligé, du peuple enfin. Timide encore dans