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LES BOIS



Je crains la foule qui se presse ;
Je tremble à ses milliers de voix.
Une fée a, dès ma jeunesse,
Conduit mes rêves dans les bois.
Là, mon cœur, pris de peine amère,
À l’espérance était rendu,
Comme un oiselet que sa mère
Reporte au nid qu’il a perdu.

Sous nos toits mon âme étouffée,
Hors de Paris cherchant de l’air,
À Meudon reçut d’une fée,
Moi jeune encore, un don bien cher.
Pauvre et brûlé de longues fièvres,
À l’ombre j’y rêvais un jour,
Quand la fée humecta mes lèvres
De chants de plaisir et d’amour.

Fontainebleau, forêt splendide,
Que je fus riche en parcourant,
Avec ma fée au vol rapide,
De tes rois l’ombrage odorant !
Aux princes la cour et ses pompes ;
Mais ces bois, à qui donc ? — Au roi.
— Au roi ! Non, garde, tu te trompes :
Tous ces beaux arbres sont à moi.

Boulogne, au déclin de mon âge,
Je viens revoir tes verts abris.
Victime de plus d’un orage,
De vains regrets je m’y nourris.
Vers moi la fée accourt encore ;
À mes maux elle ôte leur fiel,
Et fait briller comme l’aurore
Dans mes pleurs un rayon du ciel.

— Je viens te consoler, dit-elle ;
Forme un souhait, fût-il d’amour.
— C’est le sommeil, chère immortelle,
Qu’on demande au soir d’un long jour.
— Voudrais-tu que je t’enrichisse ?
— Non ; l’ennui pourrait m’assaillir.
— Veux-tu que je te rajeunisse ?
— Non, je craindrais trop de vieillir.

Je veux un tout petit domaine
Pour y planter de beaux couverts ;
Pour qu’un vieil ami s’y promène
À l’ombre, en me lisant ses vers.
Jusqu’au ciel mes arbres atteignent
Bien vite ; et, dans leurs gais penchants,
Mille oiseaux chaque jour m’enseignent
Comment meurt le bruit de nos chants.

À mes vœux elle va se rendre ;
Je l’arrête. Ô rêve insensé !
Sais-je si j’ai le temps d’attendre
Qu’un rosier même soit poussé !
Ces bois m’offrent un dernier gîte.
Au vieillard las de son fardeau,
Sous ce tremble qu’un souffle agite,
Bonne fée, élève un tombeau.