Page:Béranger - Chansons anciennes et posthumes.djvu/647

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Le choléra revient, affreux vampire,
Typhus vengeur de l’Indien opprimé.
Éclosez donc, fleurs ; que du moins j’aspire
Son noir venin dans un air parfumé.

Grondent encor les canons dans la ville ;
D’horribles cris nos échos sont tremblants !
Si jusqu’ici vient la guerre civile,
Croissez, mes fleurs, entre ses pieds sanglants.

Fleurs, vous aussi, vous avez vos souffrances.
Le ver est là, le vent peut accourir.
Moi, qui longtemps ai vécu d’espérances,
Que de boutons j’ai vus ne pas fleurir !

Ne craignez pas que ma main vous moissonne :
Vieux, je n’ai plus de bouquets à donner ;
De vous mon front n’attend plus de couronne ;
Je pars en roi qu’on vient de détrôner.

Las du combat, des folles théories,
Las de nombrer les taches du soleil,
Que n’ai-je enfin, sous vos tiges fleuries,
Un lit creusé pour mon dernier sommeil !

Mais, près de vous, fleurs au tendre langage,
Si de ma mort ici j’atteins le jour,
Puisse un parfum, souvenir du jeune âge,
Ce jour encor me reparler d’amour !

Modestes fleurs, empressez-vous d’éclore :
Déjà bien vieux, j’ai hâte de vous voir.
De votre éclat, vite, égayez l’aurore ;
De vos parfums, vite, embaumez le soir.