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préface.

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bien quelques-uns des vices de cette doctrine : il remarqua surtout qu’elle était trop spéculative et logique, qu’il lui manquait un point d’appui suffisant dans la conscience humaine, et il chercha à le lui donner. Selon lui, Kant, tout en étudiant la faculté de connaître dans ses formes, avait négligé la faculté représentative : il entreprit d’en faire l’analyse. Il voulut fonder ainsi une théorie élémentaire, qui servit de base positive 11 la logique et à. la métaphysique, ou à la critique de la raison. Mais sa théorie dela faculté représentative, malgré des aperçus vrais et des observations justes, est trop faible et incomplète pour le but qu’il se propose ; lui-même Vabandonna, frappé des objections qui lui étaient faites. Il y substitua une critique du langage, où il voit la principale source des erreurs et des malentendus en philosophie. Il revint a une nouvelle analyse de la faculté de penser, entreprise au-dessus de ses forces, qui satíslit aussi peu les contradicteurs, et insuffisante pour combler les lacunes du système qu’il voulait sauver en le corrigeant de ses imperfections. Les adversaires, en effet, ne manquèrent pas. Pamii eux, il convient d’assigner une place a part et distinguée à des hommes qui, sans parvenir à fonder un système rigoureux et solide, ne laissèrent pas d’émettre des idées naives et justes, et d’en faire une application ingénieuse propre à éclairer certaines questions. Tels sont Schulz, Bardili, lierbart. Le premier combattit 21 la fois Pteinhold et Kant ; il se pose en adversaire de Pidéalisme et du dogmatisme. Selon lui, nous sommes condamnés a faire usage de nos facultés sans pouvoir contrôler leur valeur ni remonter à leur origine. Le rôle de la raison humaine dans la science est d’accepter les faits fournis par ces facultés, d’en constater les conditions et d’en suivre le développement. Il repousse la discussion des premiers principes, qu’il admet comme vérités de sens commun. Il est, selon son expression, moins sceptique qu’antidogmatique. Mais cette doctrine indécise, si elle émet des vues sages, ne peut aboutir a un véritable système.-Bardili, tout en attaquant vivement Kant et les autres philosophes, à une prétention plus haute, celle de réformer la philosophie en la ramenant à une sorte de logique mathématique dont la base est le principe de contradiction ; sa conception est ingénieuse, mais étroite, et manque de portée. — Le retour au réalisme sur les débris de l’idéalisme est la pensée dominante de Herhart ; il répudie le système des catégories de Kant et la critique des facultés ; il veut que l’on parte des données positives de la connaissance humaine, et que sur cette base expérimentale on élève l’édifice de la science : celle-ci consiste donc simplement à coordonner les connaissances ; son progrès ne saurait modifier les données fondamentales, mais seulement les expliquer. C’est une protestation savante et ingénieuse contre les conséquences du doute introduit par la critique de Kant su. les principaux objets de la connaissance. Herbart essaye aussi d’appliquer la méthode mathématique à la philosophie : c’est ainsi qu’assimilant les facultés humaines à des forces, il essaye de calculer leur intensité et leur jeu combiné, comme on fait dans la mécanique.

A côté de ces tentatives isolées, nous voyons apparaître en face de l’école de Kant une autre école, qui proteste contre ses conséquences au nom d’un autre principe : c’est celle dont Jacob : est le chef. Le caractère de cette école est facile à expliquer. Le système de Kant, c’est le scepticisme, au moins en spéculation ; ses conséquences deviennent redoutables dès qu’on ôte les contradictions. La méthode est le raisonnement abstrait. La réalité et la vie risquent d’être étoufl’ées sous les formules du criticisme ; ce système, éclos de la réflexion, dédaigne tout autre moyen de parvenir à la vérité ; il méconnaît les droits de la raison spontanée ou intuitive, les actes primitifs de l’intelligence, qui pourtant sont le vrai berceau de la connaissance humaine, et la foi qui devance la certitude. C’est là ce que l’école nouvelle.prétend relever, en montrant les abus et les dangers de la spéculation. Elle s’intitule Fécole du sentiment. Elle excelle à dévoiler les vices du formalisme kantien ; elle s’efi’orce de réintégrer l’àme et l’intelligence dans ses actes antérieurs à. la réflexion. Ses représentants sont des esprits éminents, des écrivains distingués ; ils rejettent les formules de la science aride ; ils exposent leur doctrine dans un langage spirituel, éloquent, poétique, plein de séve et d’éclat, mais peu méthodique. C’est d’abord Hamann, le mage du nord, comme on l’a appelé, dont les nombreux écrits sont sernés de pensées profondes, exprimées sous une forme énigmatique et sentencieuse qui rappelle les réponses des anciens oracles. C’est ensuite Harder, l’éloquent nuteur des Idées sur la philosophie de l’histoire, qui s’attache à retrouver le génie des anciens peuples dans les monuments de leur littérature. A la critique de Kant, il oppose une autre critique, œuvre faible, mais empreinte de cette pensée vraie, que l’abus de la réflexion et du raisonnement peut amener les plus grands écarts en philosophie. Mais l’adversaire le plus redoutable de Kant, celui qui porta les coups les plus rudes à sa philosophie, c’est Jacobi lui-même ; il met très-bien à nu le vice radical de ce système et le réfute éloquemment. Il fait voir qu’antéríeui-ement à la réflexion il y à une première aperception de la vérité. C’est ce qu’il appelle le sentiment, d’où nait la foi, et la foi est la base de toute certitude. La foi, ici, n’est pas celle qui se fonde sur l’autorité ou le témoignage historique, mais une foi plus générale, dont l’origine est une révélation intime antérieure à la réflexion. Mais cette doctrine échoue quand il s’agit de se formuler et de construire un système : la partie critique est la meilleure ; la théorie est faible et se borne à l’énoncé du principe. Encore Jacobi confond-il souvent l’imagination avec le sentiment, qui est la forme spontanée de la raison elle-même. Il finit pourtant par reconnaître cette identité du sentiment et de la raison dans l’intuition rationnelle ; mais il oppose la raison à elle-même, en niant la légitimité et l’importance de la réflexion, qui, seule, en réalité, peut fonder la science. Il fallait autre chose qu’une protestation éloquente appuyée sur un fait réel, pour renverser un système aussi fortement organisé que celui de Kant. Aussi la philosophie kantienne triompha des attaques et des critiques ; mais ses lacunes et ses défauts n’étaient pas moins dévoilés. Pour les esprits spéculatifs, ce qui était surtout palpable, c’était. le défaut d’uuité dans le système ; il fallait chercher à y remédier. Une telle entreprise appelait un philosophe capable de remanier les bases du système et d’élever un nouvel édifice. Ce continuateur indépendant, qui achève la pensée de Kant en la modifiant, c’est Fichte. Penseur hardi, original et profond, dialecticien rigoureux, métaphysicien subtil, Fichte reprend le principc de la philosophie de Kant et le simplifie ; il en efface les contradictions et en tire toutes les conséquences. Il élève ainsi un système nouveau, échafaudage péniblement construit, œuvre d’une dialectique artificielle et subtile, mais qui montre parfaitement où devait aboutir cette philosophie, qui, niant l’objectivité des idées de la raison, fait de ces idées de simples formes de la pensée. Fichte pose le moi comme base et principe de tout savoir et de toute réalité ; il en tire et le monde avec ses lois, et Dieu, qui devient ainsi une création de la pensée humaine. Au foyer de la conscience, dans le moi, principe de la personnalité humaine, se concentrent l’univers et Dieu. Le moi se pose lui-même dans la conscience qu’il a de son activité libre ; ensuite il se dédouble et se pose en face de lui-même ; il crée ainsi sa nature ; le monde est son propre développement. Au fond du moi et de l’univers créé par le moi apparait Dien, l’idéal de la pensée, l’infini. Tel est en substance le système de Fichte. C’est, en réalité, celui de Kant dégagé de ses contradictions et rigoureusement développé. Ici, unité parfaite ; tout est conséquent, sinon raisonnable. Mais, qu’on ne s’y trompe pas, sous le moi humain est le moi divin, et la personnalité humaine s’eti’ace dans l’activité absolue de l’être infini dont le moi humain n’est qu’une forme ou un mode. C’est donc le panthéisme qui est au fond de ce système et qui succède a l’idéalisme et au scepticisme. Fichte s’efforce d’établir ces principes, et sur cette base il élève l’édifice entier de la science et de la croyance humaines. C’est un effort gigantesque où il déploie. avec une vigueur incomparable, toutes les ressources d’une dialectique subtile et ingénieuse. Ce système heurtait trop fortement le sens commun et la raison pour prendre possession des esprits ; mais il a le mérite d’achever la pensée de Kant et de rendre nécessaire un développement nouveau de la philosophie allemande. D’ailleurs, Fichte n’a pas épuisé tout son génie à. construire cette œuvre de métaphysique ; il a. aussi abordé tous les grands problèmes de la philosophie morale. Il a développé avec une male éloquence des doctrines où l’on reconnaît les principes du stoïcisme ancien sous une forme appropriée à la pensée moderne. Le droit naturel surtout lui doit beaucoup ; il a essayé de faire de cette branche de la philosophie une science exacte et rigoureuse. Il a continué ainsi les travaux de Montesquieu et de Rousseau sur le terrain de la théorie et de la science spéculative. Écrivain non moins éloquent que puissant dialecticien, il a appli-