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travaux de l’imagination. La poésie, chassés des cours, descend au sein de la bourgeoisie et du peuple ; l’art se transforme ; il s’adresse à la foule pour la consoler et l’instruire. Moins élevées, les lettres eurent peut-être une influence plus active. Sous les empereurs de la maison de Souabe, c’étaient des poëtes-chevaliers qui chantaient l’amour, la guerre, la patrie, la religion ; aujourd’hui, ce sont des artisans qui parlent a des artisans. Il y a des corporations de poëtes, comme il y a des corporations de métiers. Après les chautres d’amour, voici les ’maîtrès-chanteurs (Meístersaenger). Si on les juge au nom de la poésie, on est bien forcé de les condamner ; ils sont plats, vulgaires, sans inspiration ; ils défigurent les grands sujets consacrés par l’époque précédente. N’est ce pas cependant un spectacle digne d’intérêt que cette dissémination de la richesse publique au sein de la multitude ? La poésie chevaleresque a encore quelques représentants, tels que Hugues de Montfort (1354-1423) et Oswald de Wolkenstein (1366-1445) ; mais l’esprit des classes bourgeoises et populaires pénètre de plus enplus dans les domaines de l’art et y introduit un élément tout nouveau. Cette transition est manifeste surtout chez deux poëtes, Michel Beheim et Hans Rosenplut : le premier, essayant encore, mais en vain, d’intéresser le public aux sentiments du xm° siècle, voulant chanter les guerres et les princes de son temps comme Walther de Vogelweide chantait les Hohenstaufen, et ne produisant qu’un mélange bizarre d’enthousiasme factice et de prosaïsme vulgaire ; le second, renonçant bien vite à une inspiration qui n’est pas la sienne, et se consacrant tout entier a l’expression de l’esprit nouveau. Bon sens populaire, allégories morales, satires joyeuses et acerbes, -voilà les sujets qui plaisent à la foule :’on les retrouve partout, dans la poésie, dans la prose, dans les traités des moines, dans les sermons des prédicateurs. Le moyen âge aimait les grands poëmes et les récits interminables ; le xv° siècle allemand dirait volontiers comme La Fontaine : les longs ouvrages me font peur. Ce qu’il faut au peuple, au peuple qui écrit et qui lit, ce sont des traités brefs, rapides, des recueils de sentences, des strophes au lieu de poëmes, des nouvelles à la place des romans. Il lui faut surtout une littérature morale, didactique, soit qu’elle blâme le mal en le raillant, soit qu’elle exhorte joyeusement au bien. La sagesse orientale, la science de l’antiquité grecque et latine, viennent joindre leurs enseignements aux leçons pratiques du christianisme. Ici, c’est le Livre des sept sages maîtres (das Buch der sîeben weisen Meister : - dans notre vieille littérature, li Romans des sept sages), qui, de contrée en contrée, de main en main, arrive du fond de la Perse et de l’Inde pour édifier les Allemands du xv° siècle : la, ce sont des histoires de l’antiquité latine, entre autres le livre intitulé les Vieuœ Romains, remaniement très-curieux de cette indigeste compilation des Gesta Homanorum qui joua un rôle si important au moyen âge dans toute la littérature européenne. Parmi tant d’<-Écrivains inconnus qui représentent la confuse activité du xv° siècle, il en est un a qui l’histoire doit une mention particulière ; c’est Nicolas de Wyle. Quand on dit que le xv° siècle n’aimait pas les longs ouvrages, il s’agit de l’esprit public et des instincts nouveaux qui se déclaraient ; il y avait encore cependant toute une classe d’écrivains, chapelains des princes, scribes des seigneurs, occupés à traduire en prose, et quelle prose ! les poëmes chevaleresques du xm° siècle. C’est Nicolas de Wyle qui a discrédité ces fastidieuses écoles, en même temps qu’il a contribué plus que personne à relever la littérature populaire. Familier avec les lettres italiennes, ami de Sylvius./Enéas, il traduisit dans une langue vive et nette les ouvrages les plus propres à secouer la torpeur germanique. Sylvius 1Enéas, qui adressa tant d’excellents conseils aux princes allemands, qui combattit avec tant de verve le pédantisme et les subtilités de la scolastique, appartient pour ainsi dire à l’histoire littéraire de l’Allemagne, grâce aux traductions de Nicolas de Wyle. C’est aussi par Nicolas de Wyle que Pétrarque, Boccace, le Pogge, pénétrèrent dans le pays des Niebelungen. Sous ce rayon du midi, la langue, plus prompte et plus alerte, se dégagea de ses liens. Nommons, a côté de Nicolas de Wyle, deux autres prosateurs, Albert d*Eyb et Henri Steinhœwel, qui continuèrent son œuvre. Nommons surtout les poëtes dramatiques populaires, Hans Folz, Hans Bosenplüt, Théodore Schernberg ; les chroniqueurs Koenigsliofen, Gensbein, Jean Rothe, Diebold Schilling, Petermann Etterlyn, le traducteur inconnu du voyageur anglais Mandeville, et le secrétaire de l’empereur Maximilien, Marx Treitzsaurwein, qui ara›.. 3

conté la vie de son maître dans un roman allégorique intitulé le Roi blanc (der Weiss-Kunig). Une place particulière est due a l’éloquent prédicateur mystique Jean Tauler (1284-136Q, au hardi sermonnaire satirique Geiler de Keisersberg (1 50-1510), et enfin à celui qui résume à sa manière tout le xv* siècle allemand, au joyeux poëte satirique Sébastien Brandt (1458-1521), auteur de la Nef des fous (Narrenschiff, 1494).

La Suisse, pendant ses luttes contre Charles le Téméraire et la maison de Habsbourg, a produit un grand nombre de chants de guerre que les historiens de la littérature allemande n’ont garde d’oublier dans leurs tableaux ; plusieurs de ces Tyrtées, au reste, appartenaient à l’Allemagne par leur naissance. Celui qu’on cite le plus souvent, Veit Weber, né à Fribourg-en-Brisgau, a chanté la victoire de Morat et les désastres du duc de Bourgogne. Il s’en faut bien cependant que les strophes de Veit Weber égalent les chants d’un autre poëte guerrier, Halb Suter, qui, cent années auparavant, avait célébré la bataille de Sem pach gagnée par les cantons helvétiques contre Léopold d’Autriche (1386).

Au milieu des œuvres si variées que représentent tous ces noms, au milieu des poëtes chevaleresques, des conteurs féodaux, des chanteurs populaires, des moralistes joyeux, des satiriques hardis, des pédants scolastiques et des mystiques profonds qui les combattent, au milieu des dramaturges qui mettent la. Bible sur le théâtre, et des sermonnaires qui portent dans la chaire les facéties de la rue, s’il n’y a pas un seul monument immortel pour exprimer l’esprit général de cette période, on ne peut nier cependant l’immense travail qui s’accomplit par mille mains différentes, travail continu, opiniâtre, un peu vulgaire à la surface, sérieux et moral si on regarde au fond, dissémination presque démocratique des lettres et des idées, fermentation universelle d’où sortira l’irrésistible mouvement de la Réformation.

Cinquième période. - Jean Tauler, dès le xIv° siècle, par les mystiques aspirations de son ame ; au xv°, Geiler de Keisersberg par ses prédications burlesques, Sébastien Brandt par la hardiesse de ses satires, avaient annoncé le travail secret des, esprits et fait pressentir une lutte imminente contre l’Église catholique. Cette lutte fut tout ensemble religieuse et nationale. Ce ne furent pas seulement des ames pieuses, des esprits inspirés de l’Évangile, qui protestèrent contre ces abus de la cour de Rome tant de fois stigmatisés depuis S’Bernard ; c’est aussi au nom des sentiments nationaux, au nom des inspirations germaniques tout a coup ressuscitées, que de belliqueux esprits se révoltèrent contre les Romanistes. Et ces adversaires des Bomanistes n’étaient pas les adversaires de la culture latine et de l’esprit de la Renaissance ; c’étaient, au contraire, des hommes passionnés pour les lettres. Humanistes en même temps que germanistes, ils voyaient dans les moines de leur époque les défenseurs intéressés de la barbarie du moyen âge. Un des précurseurs, un des plus hardis soutiens de l’entreprise de Luther, c’est Ulrich de Hutten (1488-1523), érudit, poëte, pamphlétaire, qui, maniant aussi vaillamment la plume que l’épée, écrivant le latin ou l’allemand avec la même vigueur, nous offre une des plus dramatiques figures du xv1e siècle. Ses Epistolœ obscurorum virorum ont pu être comparées aux Provinctales. Luther lui-même (1483-1546) occupe une place, et une place considérable, dans l’histoire de la littérature, non-seulement par le mouvement d’idées qu’il a ouvert, mais par son rôle personnel comme orateur, controversiste et poëte. il Luther triomphait de vive voix, » dit Bossuet ; cette vive et impétueuse éloquence se retrouve dans ses écrits de polémique, dans sa traduction de la Bible (1523-1534), et jusque dans ces beaux chorals (il y en a trente-sept) où sa foi ardente se reposait des violences et des grossièretés de la lutte. Nous n’avons pas à indiquer ici tous les hommes qui, de la plume ou de la parole, ont pris part à, ce grand combat du xv1e siècle ; ne confondons pas l’histoire de la théologie avec l’histoire des lettres. Detous les éminents personnages de la Béformation en Allemagne, il n’en est que deux, avec Luther, dont l’histoire littéraire doive conserver le souvenir ; c’est Philippe Mélanchthon et Huldrych Zwingli. Écrivain autant que théologien, Mélanchthon était dévoué a l’étude des lettres antiques, et, à travers les passions de son époque, il a servi admirablement les’plus nobles intérêts de l’humanité. Zwingli, qui appartient, quoique fils de la Suisse, à l’histoire de la littérature -allemande, a laissé des écrits où brillent des qualités du premier ordre. « Il y avait, dit Bossuet, beaucoup de netteté dans son discours, et aucun