Page:Bachelet - Dezobry - Dictionnaire général des lettres, des beaux-arts et des sciences morales et politiques.djvu/92

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
xviii
préface.

ALL. si ALL

des prétendus, réformateurs n’a expliqué ses pensées d’une manière plus précise. n A cette netteté des idées, à cette précision du langage, ajoutez une imagination vraiment libérale et chrétienne : rien de plus opposé à la rigidité du calvinisme que l’enthousiasme de Zwingli pour les beaux génies du monde antique. Quand on a cité Luther, Mélanchthon et Zwingli, on a indiqué, pour ainsi dire, toute l’histoire littéraire des théologiens de la Réformation. La poésie est surtout représentée par Hans Sachs (1494-1576), fils d’un tailleur de Nuremberg, et lui-même cordonnier dans sa ville natale. Agé de21 ans quand éclata la Réformation, il en embrassa la cause avec ferveur. Poète lyrique et dramatique, sa fécondité est inépuisable. Il a vécu 82 ans, et l’on pourrait presque dire qu’il a écrit et chanté toute sa vie. On a de lui 208 comédies et tragédies, l, ’100 bouffonneries (les sotties de notre vieux théâtre), 4,200 morceaux de poésie, chants de guerre, cantiques religieux, chansons de compagnonnage, etc. Hans Sachs n’est pas un poëte de génie ; ne cherchez pas chez lui la flamme créatrice ; mais quelle verve, et quel talent populaire ! Nail, sensé, joyeux, il a exercé une salutaire action dans une époque de violences. Les poëtes qu’il faut nommer après lui sont : Jean Fischart, auteur d’un poème moral intitulé le Forluné navire, et d’un grand nombre d’allégories et de satires dirigées contre les Jésuites ; Thomas Murner (1475-1536), moine franciscain, esprit fougueux et mobile, qui, cinq ans avant la Réformation, avait écrit contre l’Église romaine un poëme violemment satirique, ’la Conjuration des fous (imite de la Nel’des fous de Sébastien Brandt), et qui, après 1517, dans maints écrits en prose et en vers, devint un des plus mordants adversaires des réformateurs ; George Rollenhagen, auteur d’un poème allégorique, les Rats et les Grenouilles, où sont discutées d’une façon piquante et libre les questions politiques aussi bien que les problèmes religieux du xvi’siècle ; Bartholomé Ringwald (né en 1530), qui a composé des poésies morales, des méditations sur la mûrt, une poétique vision du Paradis et de l’Enl’er ; Burkhard Waldis, à qui l’on doit un recueil de fables et de moralités excellentes ; Ayrer (mort en 1005), poëte dramatique, successeur de Hans Sachs, qui imita plus d’une fois le théâtre anglais contemporain, et dont l’Opus the/ztricum, sans révéler un poële, fournit cependant une curieuse peinture de l’Allemagne ; le duc Henri-Jules de Brunswick, qui entretenait à sa cour une troupe de comédiens, et qui écrivit des comédies et des drames à la façon d’Ayrer et de Hans Sachs ; enfin, les poëtes religieux, tous ceux qui ont écrit, sous l’inspiration de Luther, des chorals et des cantiques, dont plus d’un est resté dans la mémoire du peuple : Michel Weiss, Erasmus Alberus, Nicolas Hermann, Louis Helmbold, Lobwasser, Martin Schalling, Philippe Nicolai, le prince iljeau-Frédéric de Saxe, et le prince Albert de Braudcourg. Réformée et fixée par la Bible de Luther, la prose allemande est maniée au xvi° siècle par un grand nombre d’écrivains intéressants. lci, c’est le traducteur du Gargantua de Rabelais, Jean Fischart, que nous avons déjà rencontré parmi les poëtes ; les auteurs inconnus des récits populaires, les rédacteurs de la légende de Faust, de la légende du Juif errant, etc. ; là, ce sont les historiens Jean Thurnmeier, Sébastien Frank, Tschudi, Theobald, Kantzow, et le hardi chevalier Gœtz de Berlichingen, le vieux héros à. la main de fer, qui, traçant lui-même l’histoire de ses aventures et de ses combats, nous donne le tableau le plus vif des bouleversements de son époque. Citons encore le grand peintre Albert Dürer, à qui l’on doit de belles et simples pages, les unes sur le dessin, sur les proportions du corps de l’homme, les autres sur l’art de fortifier les villes et les châteaux ; citons le moraliste Jean Agricola, le pieux et tendre prédicateur Jean Arndt, et l’on verra qu’en Allemagne, comme en Italie et en France, le xvi* siècle a vaillamment rempli sa tache.

Siacième période (1600-1730). - La Réformation, qui avait imprimé d’abord un si vigoureux élan à l’esprit germanique, finit par exercer sur la littérature une influence funeste. Dès la seconde moitié du xvr° siècle, on s’aperçoit que l’habitude des controverses religieuses a engendré une scolastique nouvelle : protestants et catholiques s’enfoncent dans des discussions insipides ; plus d’inspiration, plus de vie intellectuelle et morale ; la lettre a tué l’esprit. Une rupture se fait entre la science et la littérature : séparée du monde et de la littérature qui en est Vxnterprète, la science se perd de plus en plus dans les vides formules du pédantisme ; séparée de la science, la littérature tombe dans la platitude et la vulgarité. Ajoutez a ces causes de dissolution la lutte du nord et du midi, la patrie déchirée, les horreurs de la guerre de Trente Ans ; puis, après le traité de Westphalie, une paix aussi fatale que la guerre, Passervissement de l’Allemagne à des mœurs qui ne sont pas les siennes, l’imitation absurde de la France de Louis XIV, la langue de Luther défigurée par des courtisans ridicules, les insupportables allures d’une diplomatie gourmée remplaçant la loyauté germanique et l’expression sincère de la nature. Jamais les lettres n’ont été plus pauvres ; jamais cet esprit allemand, qui se perd et se retrouve tout à tour, n’a traversé une période plus stérile.

La Silésie, qui a moins souffert de la guerre de Trente Ans que tout le reste de l’Allemagne, est le seul foyer qui reste encore ; c’est de la que sortiront les principaux représentants de cette triste littérature du xvn° siècle. On distingue dans cette période deux écoles silésiennes. La première est fondée par Martin Opitz (1597-1670), poëte correct, esprit régulier, chef d’une réaction utile contre le désordre et la platitude de la poésie dégénérée du xvr° siècle. Martin Opitz offre plus d’un rapport avec Malherbe : il fixe les règles de la prosodie, et disciplincla versification. A lui se rattachent Paul Flcmming, écrivain aimable, qui visita la Russie et la Perse, et chanta, non sans noblesse, la mort de Gustave-Adolphe ; André Gryphius, le fondateur du théâtremoderne ; Frédéric de Logan, ame de poëte dans un siècle sans poésie., et qui, longtemps inconnu et dédaigné, a mérité d’être remis en lumière par Lessing ; enfin, André Tscherning, Enoch Glaeser, Henri Buchholz, auteurs de poésies lyriques, où l’on remarque toujours, à défaut d’inspiration, le goût de la correction et le désir de l’élégance.

Entre la première et la secondo école silésienne, se placent des poëtes auxquels l’histoire doit aussi un souvenir : Jean Plist, presque aussi célèbre au xvu° siècle que Martin Opitz lui-même ; Robert Roberthîn, Simon Dach, Paul Gerhardt, Knorr de Ptosenroth, Gottfried Arnold, Wolfgang-Christophe Dessler. Béservons une place a part, une place unique, au tendre et mystique poëte Jean Schoffier, connu sous le nom d’Angelus Silesius (1624-’167’l). C’est une apparition extraordinaire que celle de ce mélodieux chanteur. Une telle ame, une ame si pure, si profonde, et dont la piété s’exhale en paroles d’or, ne rachète-t-elle pas à elle seule tout ce qu’il y a d’insipide dans la poésie allemande du xvn° siècle ? Ce n’est pourtant qu’une apparition isolée ; une fleur de mystique poésie s’est épanouie tout a coup parmi les ronces ; une humble voix s’est fait entendre au milieu des discussions pédantesques, comme pour attester que le cœur de l’Allemagne battait encore. Ce soupir si doucement exhalé n’arrêtera pas le bruit des controverses. Angelus Silesius n’a pas eu de maître au xvnfl siècle ; il n’aura pas de successeur.

La seconde école silésienne, inaugurée par Hoffmann de Holïmannswaldau C16*lS-1670), semble annoncer d’abord un revirement d’inspirations assez curieux ; a la sécheresse savante de Martin Opitz, Hoffmann fait succéder une grâce toute voluptueuse. Il n’y a pas d’écrivain allemand sur lequel les critiques soient moins d’accord : tandis qu’il est dénigré par les uns comme un imitateur de Guarini et de Marino, comme un rimeur emphatique, langoureux, toujours occupé à mourir par métaphore, d’autres juges, et M. Gervínus à leur tête, aiment en lui un esprit joyeux, plein de grâce, qui proteste contre le pédantisme de Martin Opitz et d’André Gryphius. Ces deux opinions contiennent une part de vérité, et ne demandent peut-être qu’à être fonducs ensemble. Hoflmann, comme Martin Opitz, a eu des disciples dévoués ; les principaux sont Daniel-Gaspard de Lohenstein, Henri Muhlpfort- et Christian Hallmann. On voit enfin apparaître vers la fin du xvn° siècle quelques poëtes mieux inspirés, les uns joignant la correction d’Opitz a lagrâce d’Hol’fmann, les autres attaquant avec vivacité les deux écoles silésiennes, tous en un mot, par des mérites divers, indiquant l’approche d’une période meilleure ; c’est d’abord Christian Gunther, puis Christian Wernicke, le baron de Canitz et Henri Brockès.

Parmi les prosateurs du xvnfl siècle, nous signalerons en première ligne Buclmer, professeur à Wittemberg, qui fit dans maintes dissertations ce que Martin Opitz faisait dans ses poésies, et fut avec lui -la grande autorité littéraire de son temps. Citons ensuite les romanciers Philippe de Zesen, Henri Buchholz, le duc Antoine-Ulrich de Brunswick et Samuel Greifenson d’Hirschfcld. Ces