Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/120

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

précédente, il voulut bien lui communiquer ce petit traitté, d’autant plus volontiers, que Béeckman témoignoit avoir une inclination particuliére pour la musique. Il ne le lui confia néanmoins qu’à condition qu’il ne le feroit voir à personne, dans la crainte qu’il ne devinst public, ou par l’impression, ou par la multiplication des copies. Dieu ne permit pas qu’il eût cette satisfaction. Ses ennemis en aiant je ne sçai comment recouvré une copie assez défectueuse plusieurs années aprés, et sçachant quelle étoit son inquiétude et sa délicatesse sur ce point, voulurent lui causer le déplaisir de le faire imprimer tel qu’ils l’avoient, afin de se vanger de lui, de la maniére du monde la plus mortifiante que l’on puisse imaginer pour un auteur.

Mais loin de trouver matiére de triomphe dans une conduite si lâche et si indigne, ils s’en firent un nouveau sujet de mortification pour eux, et travaillérent contre leur intention à la gloire de leur adversaire, et à leur propre confusion. Car il est arrivé que la publication de ce traitté, qu’ils n’osérent exposer de son vivant, loin de déshonner sa mémoire parmi les mathématiciens, lui attira l’admiration de tous ceux qui ont sçeu que c’étoit l’ouvrage d’un jeune homme. à dire vray, cette derniére considération à beaucoup servi à rehausser encore le prix de l’ouvrage, puis qu’il n’avoit alors que Xxii ans, comme il paroît par la datte du dernier jour de l’an 1618 qu’il a mise à la fin de son original latin, que nous avons écrit de sa main.

Quelques auteurs ont écrit qu’il n’avoit pour lors que Xx ans : mais c’est faute d’avoir sçeu cette circonstance ; ou s’ils l’ont sçeuë, ils ont crû que le nombre rond favorisoit encore plus le dessein qu’ils ont eu de nous faire admirer cette merveille. Un mathématicien, déja sur l’ âge et consommé dans ces sortes d’études, s’imaginant que M Descartes avoit renoncé à cét ouvrage, jusqu’à laisser périr son original, voulut profiter de son absence, pour s’en faire honneur. Pendant que l’auteur étoit en voiages ou à Paris, cét honnête plagiaire montroit en Hollande une copie du traitté écrite de sa main, pour insinuer à tout le monde qu’il en étoit l’auteur : et il en écrivoit par tout avec ostentation, comme si c’eût été un bien qui lui fût propre. Le plagiaire n’aiant pas eu assez d’adresse pour persuader sa supposition