Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/181

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faisoient alors la matiére des entretiens publics. M Descartes qui étoit mieux instruit qu’homme de France de l’origine et du progrez de tous ces troubles d’Allemagne, eut de quoy satisfaire la curiosité de ses amis sur ce point.

En revanche ils luy firent part d’une nouvelle qui leur causoit quelque chagrin, toute incroyable qu’elle leur parût. Ce n’étoit que depuis trés-peu de jours qu’on parloit à Paris des confréres de la rose-croix, dont il avoit fait des recherches inutilement en Allemagne durant l’hiver de l’an 1619 : et l’on commençoit à faire courir le bruit qu’il s’étoit enrollé dans la confrérie. M Descartes fut d’autant plus surpris de cette nouvelle, que la chose avoit peu de rapport au caractére de son esprit, et à l’inclination qu’il avoit toûjours euë, de considérer les rose-croix comme des imposteurs ou des visionnaires. Il jugea aisément que ce bruit desavantageux ne pouvoit être que de l’invention de quelque esprit mal intentionné, qui auroit forgé cette fiction sur quelque-une des lettres qu’il en avoit écrites à Paris trois ans auparavant, pour informer ses amis de l’opinion qu’on avoit des rose-croix en Allemagne, et des peines qu’il avoit perduës à chercher quelqu’un de cette secte qu’il pût connoitre.

Il s’étoit fait un changement considérable depuis l’Allemagne jusqu’à Paris sur les sentimens que le public avoit des rose-croix. On peut dire qu’à la réserve de M Descartes et d’un trés-petit nombre d’esprits choisis, l’on étoit en 1619 assez favorablement prévenu pour les rose-croix par toute l’Allemagne. Mais ayant eu le malheur de s’être fait connoître à Paris dans le même têms que les alumbrados , ou les illuminez d’Espagne, leur réputation échoüa dés l’entrée. On les tourna en ridicule, et on les qualifia du nom d’invisibles

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on mit leur histoire en romans ; on en fit des farces à l’hôtel de Bourgogne ; et on en chantoit déja les chansons sur le pont-neuf, quand M Descartes arriva à Paris. Il en avoit reçu la prémiére nouvelle par une affiche qu’il en avoit lûë aux coins des ruës et aux édifices publics, dés son arrivée. L’affiche étoit de l’imagination de quelque bouffon, et elle étoit conçuë en ces termes. nous députez du collége principal des fréres de la rose-croix, faisons séjour visible et invisible en