Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/207

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Ce n’est pas qu’il prétendît trouver à redire aux loix, qui pour remédier à l’inconstance des esprits foibles, ou pour établir des sûretez dans le commerce de la vie, permettent qu’on fasse des vœux ou des contrats, qui obligent ceux qui les font volontairement et légitimement à persévérer dans leur entreprise.

Mais ne voyant rien au monde qui demeurât toûjours en même état, et se promettant de perfectionner ses jugemens de plus en plus, il auroit crû offenser le bon sens, s’il se fût obligé à prendre une chose pour bonne, lorsqu’elle auroit cessé de l’être, ou de luy paroître telle, sous prétexte qu’il l’auroit trouvée bonne dans un autre têms.

à l’égard des actions de sa vie qu’il ne croioit point pouvoir souffrir de délai, lorsqu’il n’étoit point en état de discerner les opinions les plus véritables, il s’attachoit toûjours aux plus probables. S’il arrivoit qu’il ne trouvât point plus de probabilité dans les unes que dans les autres, il ne laissoit pas de se déterminer à quelques-unes, et de les considérer ensuite non plus comme douteuses par rapport à la pratique, mais comme trés-vrayes et trés-certaines, parce qu’il croyoit que la raison qui l’y avoit fait déterminer se trouvoit telle. Par ce moyen il vint à bout de se délivrer des repentirs et des remords qui ont coûtume d’agiter les consciences des esprits foibles et chancelans, qui se portent trop légérement à pratiquer comme bonnes les choses qu’ils jugent aprés être mauvaises.

Il s’étoit fortement persuadé qu’il n’y a rien dont nous puissions disposer absolument, hormis nos pensées et nos desirs : de sorte qu’aprés avoir fait tout ce qui pouvoit dépendre de luy pour les choses de dehors, il supposoit comme absolument impossible à son égard ce qui luy manquoit pour réüssir. C’est ce qui le fit résoudre à ne plus rien desirer, qu’il ne pût acquerir. Il crut que le moyen de vivre content, étoit de considérer tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignez de nôtre pouvoir, et de ne pas regretter ceux qui nous manquent, dans la pensée qu’ils nous seroient dûs, lorsque ce n’est point par nôtre faute que nous en sommes privez. Il faut avoüer qu’il eut besoin de beaucoup d’éxercice, et d’une méditation souvent réïterée pour s’accoûtumer