Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/254

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ces loix dans la nature, de même qu’un roy établit des loix dans son royaume. Or il n’y en a aucune en particulier que nous ne puissions comprendre si nôtre esprit se porte à la considérer ; et elles sont toutes gravées dans nôtre ame et comme nées avec nous, de même qu’un roy imprimeroit ses loix dans le cœur de tous ses sujets, s’il en avoit aussi bien le pouvoir.

Au contraire nous ne pouvons comprendre la grandeur de Dieu encore que nous la connoissions. Mais ce qui nous la fait juger incompréhensible est justement ce qui nous la fait estimer davantage ; de même qu’un roy à plus de majesté lors qu’il est moins familiérement connu de ses sujets, pourvû néanmoins qu’ils ne s’imaginent pas être sans roy, et qu’ils le connoissent assez pour n’en point douter. On vous dira que si Dieu avoit établi ces véritez, il les pourroit changer comme un roy fait ses loix : à quoi il faut répondre qu’ouy, si sa volonté peut changer. Mais je les comprens comme éternelles et immuables : et moy je juge la même chose de Dieu. Mais sa volonté est libre : ouy, mais sa puissance est incompréhensible.

Et généralement, nous pouvons bien assurer que Dieu peut faire tout ce que nous pouvons comprendre ; mais non pas, qu’il ne peut faire ce que nous ne pouvons pas comprendre. Car il y auroit de la témérité à penser que nôtre imagination à autant d’étenduë que sa puissance.

Sur cét essay l’on peut juger de la liaison que M Descartes prétendoit mettre entre sa philosophie et la théologie naturelle. Pour l’autre théologie qui a ses fondemens sur l’inspiration divine, il se contenta toujours de la recevoir avec un profond respect sans vouloir jamais l’éxaminer : et sa délicatesse a été si grande sur ce point, qu’encore qu’il ne pût se résoudre à recevoir la maniére scholastique de la traiter, parce qu’il la trouvoit entiérement assujettie à Aristote, il a toujours mieux aimé se taire ou se rétracter que de rien avancer de contraire aux décisions de la foy.

L’espace de neuf mois qu’il témoigne avoir donné à ses méditations sur l’éxistence de Dieu et celle de nos ames, nous fait voir qu’il voulut poursuivre cette étude aprés avoir quitté sa demeure de Franeker où il ne demeura pas plus de cinq ou six mois. Il la continua durant les prémiers mois de son