Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/278

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artes mieux que luy. La sincérité avec laquelle le P Mersenne étoit en pratique de mander à M Descartes tout ce qui se passoit à son égard, ne permit pas qu’il lui dissimulât ce trait de l’ingratitude du Sieur Béeckman, qui devoit à M Descartes ce qu’il se vantoit de lui avoir donné.

M Descartes ne parut pas beaucoup touché de la conduite du Sieur Béeckman ; mais il ne laissa pas d’en récrire au P Mersenne dans les termes de la liberté dont on use auprés d’un ami, avec lequel on n’a point de mesures à garder lors qu’on n’écrit que pour lui. Vous m’avez obligé, lui dit-il, de m’avertir de l’impertinence de mon ami. L’honneur que vous lui avez fait de lui écrire lui a sans doute donné tant de vanité, qu’il s’est ébloüy : et il a crû que vous auriez meilleure opinion de lui, s’il vous écrivoit qu’il a été mon maître il y a dix ans. Mais il se trompe fort. Car il n’y a pas de gloire d’avoir instruit un homme qui ne sçait rien, et qui le confesse par tout librement. Je ne lui en manderai rien puis que vous ne le voulez pas, encore que j’eusses dequoi lui faire honte, principalement si j’avois sa lettre toute entiére.

Cependant le commerce de nouvelles et de sçiences continuoit toujours entre M Descartes et le Sieur Béeckman qui demeuroit en repos sur la discrétion du Pére Mersenne. Mais M Descartes lui ayant redemandé, comme par occasion de quelque autre chose, son petit traité de musique, dont il avoit l’original depuis onze ans, c’est-à-dire, depuis le têms de sa composition, l’inquiétude où le mit une demande si inopinée le fit écrire trois ou quatre fois de suite à M Descartes pour le prier de luy laisser un ouvrage dont il croyoit avoir acquis la propriété, tant par l’indifférence qu’il avoit témoignée pour lui aprés l’avoir composé, que par la longueur du têms qui s’étoit écoulé depuis qu’il lui en avoit fait présent.

Ses instances lui furent inutiles, et il fallut se dessaisir d’un bien, que M Descartes pour se divertir de lui reconnoissoit pouvoir lui appartenir, si dix ans suffisent pour la prescription .

Béeckman se douta enfin de ce que le Pére Mersenne