Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/281

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seignent les autres. Si quelqu’un sans y être porté par le poids d’aucune autorité ni d’aucune raison qu’il ait apprise des autres, vient à croire quelque chose ; l’eût-il entendu dire à plusieurs, il ne faut pas s’imaginer pour cela qu’ils la lui ayent enseignée. Il se peut faire même qu’il la sçache étant poussé par de vrayes raisons à la croire ; et que les autres ne l’ayent jamais sceuë quoiqu’ils ayent été dans le même sentiment, à cause qu’ils l’ont déduite de faux principes. Sur ce raisonnement il avertit le Sieur Béeckman qu’il n’avoit rien appris davantage de sa physique imaginaire qu’il qualifioit du nom de mathematico-physique , qu’il avoit fait autrefois de la batrachomyomachie d’Homére, ou des contes de la cicogne. Jamais son autorité ne lui avoit servi de motif pour croire aucune chose, et ses raisons ne lui avoient jamais rien persuadé. M Descartes pouvoit avoir approuvé des choses qu’il avoit entenduës de Béeckman, comme il arrive souvent dans la conversation : mais il prétend que cela avoit été si rare à son égard, que le plus ignorant des hommes en auroit pû dire autant par hazard qui s’accorderoit avec la vérité : outre que plusieurs peuvent sçavoir la même chose sans qu’aucun l’ait apprise des autres.

Il trouvoit Béeckman assez ridicule de s’amuser avec tant de soin à distinguer dans la possession des sciences ce qui étoit à lui de ce qui n’en étoit pas, comme s’il eût été question de la possession d’une terre ou de quelque somme d’argent. Béeckman étoit bien persuadé que ce qu’il sçavoit étoit entierement à lui, quoiqu’il l’eût appris d’un autre : ainsi c’étoit par une étrange jalousie qu’il prétendoit empêcher les autres qui auroient sceu la même chose, de dire qu’elle leur appartenoit. C’est ce qui portoit M Descartes à le considérer comme ces malades d’esprit que la folie rend heureux, et à le croire aussi opulent que cet homme qui s’imaginoit que tous les vaisseaux qui abordoient au port de sa ville lui appartenoient. Mais il le jugeoit trop aveuglé de sa bonne fortune lorsqu’il vouloit être seul possesseur d’un bien commun, et ne pas souffrir que les autres s’attribuassent non seulement ce qu’ils sçavoient et qu’ils n’avoient jamais appris de lui, mais aussi ce qu’il confessoit lui-même avoir appris d’eux. C’est une injustice dont il le convainquit sans peine à son égard.

Béeckman prétendoit que l’algébre que