Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/289

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recevoir, quand il en auroit eu la commodité. Ferrier avoit mandé à M Descartes l’année précédente que monsieur lui avoit ordonné d’achever cét instrument, et qu’on lui avoit fait venir exprés des étoffes d’Allemagne. Mais Ferrier n’ayant pû venir à bout de cét instrument depuis prés de trois ans qu’il y travailloit, ne donnoit pas lieu à M Descartes d’espérer qu’il éxécutât les verres, pour lesquels il lui faudroit préparer des machines qu’il tenoit plus difficiles que cét instrument. Il craignoit que si aprés l’avoir gardé deux ou trois ans il ne venoit à bout de rien qui surpassât le commun, on ne pût lui en imputer la faute, où du moins celle de l’avoir fait venir pour rien. Ce n’est pas qu’il n’aimât encore le Sieur Ferrier comme auparavant, et qu’il ne le considérât toujours comme un honnête homme. Mais parce qu’il ne connoissoit que deux personnes avec lesquelles il eût jamais eu affaire, et qu’il se plaignoit de toutes deux nonobstant leur mérite singulier, il jugeoit delà qu’il étoit trop difficile, ou trop malheureux. Aprés tout, il ne pouvoit s’empêcher de plaindre le sort de cét homme, et il auroit souhaité sincérement pouvoir le soulager dans sa mauvaise fortune. Il témoignoit ne connoître point en lui d’autre défaut, sinon qu’il ne faisoit jamais son conte sur le pied des choses présentes, mais seulement de celles qu’il espéroit, ou qui étoient passées ; et qu’il avoit une certaine irrésolution qui l’empêchoit d’éxécuter ce qu’il entreprenoit.

Le P Mersenne ayant reçû la lettre de M Descartes, récrivit d’Anvers au Sieur Ferrier pour le dissuader de son entreprise, sous prétexte du voyage que M Descartes devoit faire en Angleterre ; et sans lui marquer ouvertement les dispositions où il se trouvoit à son égard, il ne laissa pas de lui faire conjecturer qu’il y avoit quelque refroidissement.

Cette nouvelle le fit tomber dans un abatement d’esprit qui le rendit languissant durant prés de six mois sans sçavoir à quoi se résoudre. Il ne sçavoit à qui, du Pére Mersenne, ou de Mydorge attribuer sa prétenduë disgrace : mais lors qu’il réfléchissoit sur luy même, il se faisoit la justice de ne s’en prendre qu’à sa mauvaise conduite. Il alla souvent solliciter les amis que M Descartes avoit dans Paris pour