Page:Baillet - La Vie de monsieur Des-Cartes, première partie.djvu/454

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Pour ne point abuser de la disposition où est le lecteur d’entendre le reste de l’histoire de la roulette, nous quitterons M Descartes un moment pour en continuer la suite en peu de mots jusqu’au têms de M Pascal Le Jeune. M De Roberval à l’imitation de M Descartes et de M De Fermat sembloit avoir laissé assoupir la question en France, et M De Beaugrand avoit en quelque façon confié sa fortune aux italiens. Il n’en reçut point de nouvelles pendant le reste de sa vie qui ne fut que de dix-huit ou dix-neuf mois. On ne sçait pas l’usage qu’en fit Galilée à qui M De Beaugrand l’avoit addressée ; et son grand âge joint à la perte de sa vuë, nous donne lieu de croire qu’il mourut sans s’être beaucoup soucié de remuer cette question. Il eut pour successeur dans la profession des mathématiques le sieur evangéliste Torricelli : et tous ses papiers étant venus entre ses mains, il y trouva entr’autres ces solutions de la roulette sous le nom de cycloide , écrites de la main de M De Beaugrand. Torricelli crut qu’il en étoit l’auteur, et ayant appris qu’il étoit mort depuis quelques années, il jugea qu’il y avoit assez de têms écoulé pour faire que la mémoire en fût perduë. C’est ce qui le fit songer à en profiter.

Il en prit occasion par la publication de divers ouvrages de géométrie qu’il fit imprimer en un volume in quarto à Florence l’an 1644. La cycloïde n’y fut pas oubliée : mais il attribua à Galilée, ce qui étoit dû au P Mersenne, d’avoir formé la question de la roulette ; et à soy-même, ce qui étoit dû à M De Roberval, et à M Descartes, d’en avoir donné le prémier la solution et la démonstration. En quoi il fut non seulement suspect de mauvaise foy, et parut inexcusable du vol qu’il croyoit avoir fait à feu M De Beaugrand, mais encore malheureux pour n’avoir pû se maintenir long-têms dans une possession si injuste. Peu de gens y furent trompez hors de l’Italie : et il est fâcheux que M Descartes qui n’avoit pas sçû le tour que luy avoit joüé M De Beaugrand ait été de ce petit nombre. Peut-étre y avoit il en cela moins de surprise de son côté que de ce plaisir que nous sentons à voir humilier ceux dont nous ne sommes pas contents. M Descartes avoit crû jusques-là que M De Roberval étoit véritablement auteur de la prémiére solution ou démonstration de la roulette, et qu’il avoit trouvé l’aire ou l’espace de la ligne qu’elle décrit : il avoit nié seulement qu’il en eût trouvé les tangentes qu’il croyoit luy avoir enseignées, ou seul, ou conjointement avec M De Fermat. Mais sans sçavoir le tort qu’on luy faisoit dans cette prétention, il voulut bien faire cette petite injustice à M De Roberval sur la foy de Torricelli, qu’il ne soupçonnoit pas d’être plagiaire. C’est ce qui porta M Carcavi quelques années aprés à le tirer de cette erreur, et à luy faire connoître la conduite de M De Beaugrand et du Sieur Torricelli, d’une maniére néanmoins qui marquoit de la confusion dans son esprit ou dans sa mémoire pour les têms et l’ordre des choses, et qui par cét endroit auroit laissé à M Descartes un nouveau sujet de douter de la vérité du fait, s’il s’en fût mis en peine.

Quoiqu’il en soit, le Sieur Torricelli donna matiére de rire en France à ceux qui virent qu’il s’attribuoit en 1644 une invention qui étoit reconnuë depuis prés de huit ans pour être de M De Roberval, et dont M Des Argues amy particulier de M Descartes avoit fait imprimer un témoignage authentique dans un écrit qu’il avoit publié dés le mois d’août de l’an 1640, avec privilége du roy. M De Roberval ne fut pas insensible à l’usurpation de Torricelli. Il s’en