Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je m’aperçois que j’ai oublié la cuiller. Je me tourne. L’assiette tombe. Il était blanc, les yeux ouverts, la tête sur le côté. Il ne s’est pas vu mourir. L’assiette n’était même pas fendue… »

Pauvre maman ! Raconter cela la soulageait. J’écoutais ; je voulais tout savoir. Cependant mon cerveau, ou l’Autre dans mon cerveau, continuait à travailler pour son compte. Quel tohu-bohu ! Jamais, je n’avais si bien regardé la mère. Malgré ses yeux rouges, elle avait quelques traits de son fils. Mais lesquels ? Peut-être la bouche ? Ou les yeux ? La ressemblance apparaissait rapidement comme un reflet et s’effaçait sans que j’eusse pu la fixer. Elle portait déjà sa robe de deuil. Visiblement je l’avais dérangée à la fin de sa toilette. Deux agrafes du col n’étaient pas fixées. L’étoffe montrait une humble doublure grise qui me tirait l’œil. L’Autre ricanait : « Elle est comme la chapelle : prête, pas tout à fait. » Avec cela, son histoire n’en finissait pas. Je m’étonnais qu’au cours de cette longue et pénible maladie, Charles n’eût pas dit un mot pour son meilleur ami. Du moins, elle n’en disait rien. J’étais choqué. J’avais beau me défendre contre certaines idées, mais en l’écoutant je songeais qu’elle avait souvent déjà raconté cette histoire, que peut-être elle