Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/221

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tenait en éventail par le goulot, pour ressembler au cavier de certaines affiches. Je bus beaucoup pour m’étourdir. Par moments, je me sentais très heureux ; puis tout à coup très malheureux. Avoir embrassé Louise me rappelait que je n’avais jamais embrassé Jeanne. Je ne l’eusse pas osé : cela valait mieux d’ailleurs. Il n’en restait pas moins que Dupéché m’avait traité en bourrique. Volontiers j’eusse brisé verres, plats, ce qui se trouvait à portée de ma main. Et, qu’entendait-il par sa « revanche » ?

Dupéché chanta, puis Louise. Quand on la regardait elle levait les yeux pour ne pas être gênée. Elle avait une voix fine, traînante, sentimentale, qui me donnait chaud comme une main sur un endroit précis de mon corps. Bien que ce fût mal, je m’abandonnai à cette impression. Quand elle eut fini, je la complimentai et voulus chanter à mon tour. J’avais choisi une chanson que fredonnait ma tante pour endormir son Jeannot. Avant Jeannot, elle l’avait chantée pour moi, un soir que je tremblais à cause des ours :

Tiapa dodo. Tiapa fais dodo
Tiapa dormira tantôt. Tiapa dors… dodo
Tiapa fais dodo.

L’air était très doux. Il me revenait tout