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Éloquence


Vader me raconte l’aventure. Elle date de loin, du jour même où l’on enterra sa brave Trees, dont Dieu ait l’âme. On était au cimetière, et pour sa femme, vous pensez bien, Vader pleurait très fort, quand un gros chien noir, qui avait pris place dans le cortège, se mit à pisser sur une tombe.

À un autre moment, Vader aurait dit : « C’est un chien qui pisse. » Mais aujourd’hui, si près de sa Trees !

— Sale bête, pensa Vader, mais aussi pourquoi n’a-t-on pas bâti un mur autour du cimetière ?

Puis il se remit à pleurer.

De tout ceci, il ne souffla mot à personne. Mais à la première réunion du conseil de la commune, M. l’échevin Baerkaelens eut quelque chose à dire. En ce temps, c’était feu M. le baron, le bourgmestre. Que Dieu ait son âme ! Vader ne l’aimait pas.

— Monsieur le baron, dit-il, nous avons en caisse trois cents francs. Nous sommes riches. Je propose qu’avec cet argent la commune fasse bâtir un mur autour du cimetière. Ce serait plus convenable.

Convenable ou non, M. le baron détestait les idées quand elles ne venaient pas de lui.

— Un mur, trancha-t-il, c’est inutile.

— Inutile, ratifia le conseil, qui devant un baron, n’eût pas osé faire autrement.

Mais Vader osa, lui. Il pensait à sa Trees. Ce qu’il dit à M. le baron, après tant d’années, il s’en souvient mot à mot.

— J’étais assis, j’ai sauté debout, comme ça, raconte Vader qui essaie péniblement de se remettre droit. J’ai mis mes poings sur la table : « Vous, ai-je dit, Monsieur le baron, vous ne voulez pas d’un mur et moi, j’en demande. Vous, ai-je dit, Monsieur le baron, vous dites : « C’est inutile, » ce qui n’est pas une raison ; moi, je vais vous donner les miennes. Allez, ai-je dit, Monsieur le baron, allez à Zoerzel, allez à Brecht, allez à Oostmalle, vous y verrez un mur autour du cimetière et ce sont des communes pauvres. Nous, ai-je dit, Monsieur le baron, nous avons trois