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Il n’y pense même pas. Quand il a fini, il ouvre un de ces gros livres que les pères ont devant eux dans leurs stalles, puis il commence son véritable itinéraire, toujours le même : le réfectoire, la salle du Chapitre, la bibliothèque, le cloître, l’imprimerie, les étables…

Toujours sans rien dire et lentement afin qu’on ait le temps de tout voir, il traverse des places, pousse des portes, les referme : il s’arrête aux bons endroits et désigne du menton ce qui lui paraît le plus remarquable.

Au dortoir, où chaque religieux a son alcôve, il découvre un coin de paillasse et pousse dessus, pour qu’on sache bien qu’elle est dure.

Le cloître.

Sur une petite porte, une inscription en lettres gothiques annonce « Clôture ». C’est le cloître, le cœur, l’endroit saint du couvent. Les religieux, quand ils y passent, s’enferment dans leur manteau et tirent plus avant leur capuchon sur la tête. Au long des murailles, d’autres inscriptions parlent de la Mort. Mais ceux qui doivent les lire ne sont déjà plus que des fantômes.

Le réfectoire.

Une grande salle, froide, dallée, croirait-on, avec de la glace. Au long des murs, trois tables en bois nu, deux très longues pour les frères et les pères, la troisième plus petite et toute seule pour l’abbé, entre le prieur et le maître des novices. Chaque Trappiste a devant soi une cruche en terre avec de l’eau, un gobelet d’étain, un petit cube de pain, celui de l’abbé pas plus gros que les autres. Comme pour les grands banquets, les tables sont dressées d’avance : on peut venir quand on veut, on retrouve toujours exactement à leur place, les petites cruches, les gobelets et les morceaux de pain qui semblent, eux aussi, toujours les mêmes.

Les religieux mangent en silence, la tête couverte, les mains