Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/160

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— Certainement, frère, répond Mélanie, qui s’assied à la table, pendant que le frère, dans son dos, surveille ses écritures.

Sujette aux congestions, Mélanie rougit quelquefois. Lui jamais.

Frère Modestus.

Il est vieux, droit comme un jeune. C’est lui qui a mis ces belles couleurs sur le Chemin de Croix dont les pères sont si fiers dans leur chapelle.

Mais dans quel tube a-t-il pris ce blanc d’argent pour sa barbe, ce rose pour ses joues et la lumière de ce bleu qui, dans un autre œil que le sien, serait du bleu qui ment ?

On lui a vidé un coin dans la grange pour qu’il en fasse un atelier. Il a déjà peint un Christ au sortir du tombeau, maintenant il travaille au portrait de la Vierge. Il ferme les yeux pour la voir. Elle porte une rose sur chaque pied ; elle joint les mains, elle regarde le ciel, un peu comme le père économe quand il se plaint : « Ne me parlez pas de ces voyages. »

— Vous faites, ai-je dit, mon frère, de l’Art.

J’aspire le mot, pour qu’on en sente le grand A.

— De l’art, souffle le frère, je ne sais pas… Je peins la Vierge.

Et son pinceau glisse à petites touches :

— Je vous salue, Marie…

La vieille Pélagie a pris froid et va peut-être mourir.

— Je connais un bon remède, dit frère Mathieu.

— Oui, frère ? Lequel ?

— C’est une espèce d’eau jaune, explique le frère. Cela mousse quand on le verse. On en prend une tasse, le matin. On laisse piquer sur la langue, on avale ; puis on fait un renvoi et l’on est guéri.

— Si vite que cela, frère ?

— Comme je le dis… J’en ai pris une fois. Cela s’appelle… C’était sur la bouteille : du lamp… du camp…

— Du Champagne, frère ?

— Peut-être bien, dit le frère.

Il faut savoir qu’entré au couvent, à six ans, comme orphelin, il n’en est plus sorti.