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Ma propriétaire.

Son mari mort, elle n’a pas dit : « Je suis contente, » mais depuis elle n’a plus à soigner un ivrogne.

Son étable a prospéré : elle a maintenant trois vaches et six enfants qui travaillent avec elle.

C’est elle qui ensevelit ceux qui meurent au village, elle aussi qui emmaillote ceux qui viennent. De la naissance à la mort, on peut dire que chacun dans la région lui montre, au moins une fois, son derrière. À cause de ce métier, ceux qui ne l’aiment pas, la disent un peu sorcière. Je n’en crois rien.

Da ferme qu’elle me loue appartenait autrefois à ses parents. Elle y est née ; elle l’a rachetée pour six cents francs : quatre cents d’une vache, deux cents d’un cochon. Elle compte bien y revenir plus tard quand ses enfants l’auront quittée. Elle me la prête en attendant.

Si durable qu’il paraisse, ce provisoire m’agace. J’ai toujours aimé faire des choses définitives. De son côté, bien que je la paie, elle se défend mal d’une certaine rancune ; elle m’en veut de disposer avant elle d’un bien qui est le sien.

Elle dit : « Ma maison. » Je riposte : « Ma maison. »

Il y a entre nous des épingles qui piquent.

Et puis, comment voulez-vous qu’un Monsieur de la ville cultive à son gré sa bonne terre ?

Elle goûte de l’œil mon purin. Quoique je mange, il est toujours trop maigre.

— Tiens, remarque-t-elle, vous avez semé là des carottes, moi, j’y aurais mis des betteraves.

L’enclos de mes volailles l’inquiète. Il n’y pousse rien. Que de terre perdue !

— Ensemencez cela, conseille Phrasie ; le sol se repose trop, la bruyère va le reprendre.

— Mais non, Phrasie, mes poules l’engraissent, vous retrouverez cela plus tard.

— Vous croyez, Monsieur ?

Elle s’en va rassurée. Mais dans huit jours, elle reviendra avec ses inquiétudes.