Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/39

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Et quand il dit : « Petits cochons, » il ne pense pas, je vous l’assure, ce que vous pensez.

Mélanie et Fons.

Qu’elle torde son linge, remmaille des bas, porte dans un seau le lait de ses vaches, je la vois en empereur romain. Elle en a le profil, la lèvre qui méprise, les joues où se boursoufle la graisse des décadences. Sourcils froncés, c’est Tibère qui se fâche. Costumé en femme, dans un comptoir, Caligula s’amuse à vendre, Dieu sait quel poivre aux paysannes. Un jour, j’ai vu Néron sourire au ventre étripé d’un chrétien : on avait tué le cochon.

Avec de petites loques, de petites rognures, des bouts de chemise qu’elle coud ensemble, Mélanie confectionne quelque chose. Je la complimente sur ce paillasson.

— Ce n’est pas ça, dit Mélanie ; c’est une couverture pour cette pauvre Pélagie qui est malade.

D’aumône serait mince, s’il n’y avait pour l’accompagner un paquet de linge neuf, une bouteille de vin rouge et un gros jambon, dont je bave.

Les mardis, Mélanie part avec ses paniers livrer le beurre et les œufs, aux clients de la ville. Elle a sa jupe à plis des dimanches, son châle à pointe et sur sa toque une rose en tissu rouge. Quelquefois une migraine l’empêche de partir. Benooi la remplacerait très bien, mais personne n’y songe, et c’est Fons, le distrait, qui va. Jusqu’à son retour on tremble dans la ferme : Fons s’embrouille dans ses comptes, Fons remet le beurre où il faut les œufs, Fons acquitte la note et oublie de ramasser l’argent. Un jour il est revenu sans beurre, sans argent, sans paniers : il les avait déposés quelque part.

Ce paysan a des distractions de poète : son poème, c’est la chasse.

Quand Fons part pour le labour, il emporte son fusil qu’il dépose à portée dans le creux d’un buisson. Les yeux au ciel où passent les perdrix, il oublie la terre où traîne la charrue.