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SPITZ

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J’ai beau avoir la barbe sale, un pantalon troué, des sabots comme eux, les premiers jours, ils m’ont vu en faux col, je reste « Monsieur ».

— Monsieur, me dit François le charron qui veut se défaire d’un chien, Spitz n’a pas son pareil pour garder une ferme. Venez le voir.

Il me guide dans sa cour entre des charrettes sans roue et des roues sans charrette. Tout au fond, dès qu’elle nous aperçoit, une grosse bête noire, retenue par une forte chaîne, jaillit hors de sa niche, et poils dressés, crocs dehors, prouve à coups de gueule qu’elle s’y entend à surveiller une ferme. C’est en effet un chien terrible.

— N’est-ce pas ? dit François, qui en paraît lui-même étonné.

Très fier, il me laisse une minute admirer à distance, puis nous faisons quelques pas. Tiens, qu’y a-t-il ? À mesure que j’approche, Spitz transforme sa manière : il n’aboie plus, il jappe ; il rentre les dents : on dirait qu’il a peur. Plus près, il se couche sur le ventre, et dès qu’il le peut, le voilà qui se redresse et, les pattes sur mes épaules, se décide à me lécher la figure.

— Ça, c’est curieux, dit François.

— Oh ! dis-je, François, je sais dompter les bêtes.

Je blague un peu, mais s’il sourit, François, je ne le vois pas, tant il se garde bien derrière sa moustache.