Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/93

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— « Collier Spitz, » inscrit Marie. Veux-tu des journaux ?

— Pas la peine… Des harengs pour Fons.

— « Harengs Fons, » écrit Marie.

En dessous, elle trace une petite croix. Je fais celui qui n’a rien vu : je sais ce que cela veut dire.

Le soir, on se couche tôt, car le train part de bonne heure. Marie a mis le réveil.

— Bonsoir.

— Bonsoir.

Petit silence.

— Marie, tu dors ?

— Pas encore, j’essaie… Chut, pas ça, sage.

— Bien, Marie. Bonsoir.

Nouveau silence. Marie se retourne :

— Comment, tu ne dors pas encore ? Qu’est-ce que tu as là ?

— Rien, Marie, Chut… sage.

Du jeudi au vendredi, nous réussissons quelquefois à rester sages.

Le matin, c’est le plus dur. Marie, déjà prête, me réveille : c’est moi qui porterai les œufs jusqu’à la gare sur ma brouette. L’été, un petit soleil bâille, des nuages de sommeil plein les yeux ; l’hiver, nous marchons dans le noir : il gèle ou bien il neige : un peu de lune traîne encore comme un morceau de fromage oublié sur une table. Marie grelotte, moi, je me réchauffe à pousser la brouette. Je ne dis plus : « Ils sont lourds. » Je pense à Marie qui devra les traîner tout à l’heure, sans brouette, avec ses bras.

Quand le train arrive, Marie cherche la voiture où se trouvent des connaissances :

— Recouche-toi, dit-elle. J’ai refermé le lit. Tu auras chaud.

— Tûût !

Le train s’éloigne.

Me voilà seul. J’en suis tout bête.