Page:Bainville - Bismarck.djvu/187

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Thiers m’interrompit au milieu de mes développements en criant : « Et l’intérêt de la France ! Montrez-nous donc, l’intérêt de là France dans tout cela ! » Je repris : « M. Thiers me dit : Montrez-nous donc l’intérêt de la France ! (Voix nombreuses : Oui ! Oui !) Je vais lui répondre : le caractère particulier de notre nation, ce qui constitue sa supériorité, c’est qu’elle a toujours mis son ambition, non dans la satisfaction matérielle du territoire agrandi, mais dans la satisfaction morale des idées répandues. (A la gauche de l’orateur : Très bien ! Très bien !)Thiers, se levant : Où la mettez-vous donc, l’histoire de France ? Il faut déchirer notre histoire entière. Nous sommes ici tantôt Italiens, tantôt Allemands ; nous ne sommes jamais Français. (Très bien ! Très bien ! Applaudissements.) Soyons Français ! (Nouveaux applaudissements.)Émile Ollivier : Je vais vous le dire. — Thiers : Laissez-moi ajouter un mot. Je vous demande pardon de mon émotion ; mais enfin si en Allemagne on était Français, si en Italie on était Français, je comprendrais que nous allassions prendre fait et cause pour les Allemands et les Italiens ; mais comme en Allemagne on est Allemand et qu’on est Italien en Italie, il faut en France être Français. (Applaudissements et bravos répétés.)

Sans me laisser émouvoir par ces interruptions presque frénétiques, je repris tranquillement : « … Vous me demandez où est l’histoire de France ? L’Assemblée constituante a été la plus imposante des assemblées politiques ; dans son sein ont apparu des hommes de génie dont les paroles retentissent encore dans l’âme du pays. Quelle a été sa première affirmation ? Vous l’avez dit vous-même en parlant un jour de libertés nécessaires, cela a été non de déclarer les droits de la France, mais les droits de l’humanité ; non de vouloir l’affranchissement de la France, mais de vouloir l’affranchissement de tous les peuples. (Rumeurs diverses en face et à droite de l’orateur. — Vives approbations sur plusieurs bancs à gauche.) Cela a été de placer l’intérêt de la France non dans une grandeur égoïste, mais bien dans la grandeur de tous et dans la défense de la justice éternelle. (Mêmes mouvements dans les