Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/133

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c’était la seconde fois que la Russie sauvait la Prusse d’une situation désespérée. Ainsi avait-elle déjà fait sous Frédéric II. Elle devait, plus tard, regretter ce mouvement de bonté ou ce faux calcul. Tous ceux qui ont été bienfaisants ou indulgents pour l’État prussien ont eu, tour à tour, quand ce n’est pas tous ensemble, à le regretter…

La tentative de Radowitz, ce Bismarck sans bonheur, appartient à l’histoire la plus rétrospective. Elle est intéressante parce qu’elle prouve, à l’inverse d’un préjugé très répandu, que l’unité allemande n’était ni fatale ni nécessaire. Il a fallu, pour qu’elle pût s’accomplir, que la France lui ouvrît elle-même le chemin, en faisant tomber les barrières et en détruisant les dernières garanties de l’ordre européen constituées par ce qu’il restait des principes du traité de Westphalie dans les traités de 1815.

Ici nous arrivons de nouveau à l’un des trois ou quatre points culminants de notre histoire. En élisant d’enthousiasme Louis-Napoléon, en renouvelant à Napoléon III empereur, par des plébiscites répétés, la consécration du suffrage universel, la démocratie française a véritablement choisi sa destinée. Avec un Napoléon, « la politique que le peuple élaborait depuis 1815 » allait enfin s’accomplir. L’élu avait reçu le mandat de faire triompher la « cause des peuples » qu’il s’était engagé à soutenir. Jamais mandat impératif n’a été plus consciencieusement rempli. Jamais la démocratie française n’a eu de plus fidèle serviteur de ses volontés.

Une partie des républicains doctrinaires de 1848 avaient pu bouder Napoléon, après avoir conseillé au peuple d’élever contre lui des barricades. Leur grand reproche, celui d’avoir confisqué la liberté, s’affaiblit à mesure que l’Empereur acheva, dans le programme de la démocratie, ce qui tenait le plus au cœur du peuple, ce qui représentait l’essentiel de la doctrine. La situation de Victor Hugo, dans son exil volontaire, devint ridicule, lorsque, d’année en année, on vit s’accomplir les vœux du romantisme pour l’affranchissement des peuples, œuvre à laquelle l’Empire se dévouait. Ce que Hugo avait chanté, Napoléon III le réalisait. La lutte contre les puissances de réaction et l’évangile de la libération européenne formaient encore le sujet d’un poème célèbre des Châtiments, comme ils