Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/137

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conforme aux traditions de la démocratie. Bismarck s’est vanté plus tard d’avoir nourri cet enthousiasme par des subsides adroitement distribués et il a expliqué comment il n’eut, le jour où il voulut la guerre contre la France, qu’à suspendre ces distributions pour attiédir les sympathies prussophiles. L’or peut jouer le rôle d’agent provocateur, mais les idées mènent le monde. Pour comprendre la politique française en 1866, l’accord de Napoléon III avec l’opinion, il faut se rendre compte de ce qu’était l’état des esprits en France quatre années avant Sedan. Ce n’est pas par ignorance, certes, que l’opinion publique a péché alors : on peut dire que la nation a choisi son destin. « L’unité de l’Allemagne, comme l’unité de l’Italie, c’est le triomphe de la Révolution », disait le Siècle. La Liberté demandait que la France restât fidèle à « la politique de la prédominance d’une Prusse protestante en Europe ». Emile de Girardin, idole du public, toujours tranchant, écrivait dans la Presse : « Que la France demeure calme ou qu’elle tire l’épée, la France est logiquement avec la Prusse, parce qu’elle est indissolublement avec l’Italie. » Et Peyrat, un radical beaucoup plus accentué, dans son Avenir national insistait encore : « La guerre commencée en Italie et en Allemagne ne peut manquer de devenir générale. Les puissances, aujourd’hui neutres, y seront entraînées bon gré mal gré et la France notamment est appelée à y jouer un rôle prépondérant. Au point de vue du droit, il n’y a pas de cause plus juste que celle de l’Italie, au point de vue de nos intérêts généraux et de notre honneur national, il n’y en a pas qui soit plus essentiellement française. En ce qui concerne l’Allemagne, l’Empereur n’est pas moins explicite. On voit bien sa pensée et son but. Il reconnaît que la Prusse et la confédération germanique cherchent naturellement à se donner : la Prusse, plus d’homogénéité et de force dans le nord ; la confédération, une union plus importante. C’est la politique de M. de Bismarck. » Guéroult, dans l’Opinion Nationale, n’était pas moins favorable à la politique impériale et la déclaration de Napoléon III donnait satisfaction à son libéralisme : « Quant à nous, il nous serait d’autant plus difficile de ne pas l’approuver que nous sommes assez heureux pour y retrouver, revêtues de ce style élevé et substantiel dont l’Empereur a le secret, les vues que nous