Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/15

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être perçu à chaque vente. Ce n’était pas seulement un impôt, c’était une intolérable vexation, une guerre contre le commerce. Le percepteur campait sur le marché, espionnait marchands et acheteurs, mettait la main à toutes les poches, demandait sa part sur un sou d’herbe. Ce droit, qui n’est autre que l’alcavala espagnol, a tué l’industrie de l’Espagne. » Croyons-en Michelet et l’alcavala, mais aujourd’hui nous connaissons cet impôt, nous l’appelons taxe sur le chiffre d’affaires et nous entendons les plaintes des consommateurs et des commerçants.

Il serait trop facile de multiplier ces exemples. Ah ! comme la civilisation est fragile ! On pourrait dire d’elle ce que disait de la santé un médecin célèbre : « La santé est un état provisoire et qui ne laisse rien présager de bon. » La civilisation tient comme la santé à un équilibre instable. C’est une fleur délicate. Elle dépend de tout un ensemble de conditions. Supprimez quelques-unes de ces conditions elle dépérit, elle recule. Heureux si elle ne disparaît pas !

À cet égard, la Russie nous offre une étonnante leçon de choses. Récemment, un commissaire bolcheviste, Ossinsky, remarquait que la production de la fonte, dans la Russie soviétique, était tombée au même niveau qu’au temps de Pierre le Grand, l’introducteur de la civilisation européenne en Russie, introducteur par la force, car les tsars et les tsarines avaient civilisé la Russie malgré elle. La statistique d’Ossinsky, voilà un petit fait qui en dit très long. Sans doute la production de la fonte ne peut pas être considérée comme l’étalon de la civilisation morale. Mais elle est d’une importance capitale pour une civilisation qui repose pour une très grande part sur l’industrie. Que signifie cette décadence de la métallurgie russe ? Elle signifie que les chemins de fer ne peuvent plus être entretenus, que les transports s’arrêtent, que ni les marchandises, ni les idées, s’il y en a, ne circulent plus, qu’un des progrès les plus sensibles de notre temps est par conséquent aboli, que les régions où la récolte a été mauvaise sont condamnées à la famine, que les populations se replient sur elles-mêmes et, coupées de communications avec le reste du monde, retournent à la barbarie. Ce qu’on sait de la vie actuelle dans les campagnes russes, misère, épidémies, brigandage, cannibalisme même, confirme cette vue. Il a suffi de la désorganisation d’une branche