Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/150

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à l’existence. Comme l’avaient prévu, après Proudhon, quelques esprits pénétrants, le principe des nationalités, propagé dans l’Europe orientale, y produisait les mêmes bouleversements qu’il avait produits dans l’Europe centrale. Et la Russie se trouvait derrière la Serbie comme Napoléon III s’était trouvé derrière le Piémont. Conflits d’idées, de sentiments, d’intérêts, tout faisait glisser l’Europe vers la guerre. À l’ultimatum allemand de 1909, lui enjoignant de reconnaître l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche, la Russie avait pu céder. Eût-elle cédé encore à l’ultimatum de 1914, l’Allemagne eût-elle remporté un nouveau succès de sa politique d’intimidation en obtenant que la Russie permît à l’Autriche d’écraser les Serbes, que la même situation se fût reproduite tôt ou tard. Un jour devait venir où une résistance profonde, commandée par l’instinct de conservation, serait opposée à une nouvelle exigence de l’Allemagne, sous peine de voir le monde germanique faire désormais la loi à l’Europe.

Les calculs de l’Allemagne ont été déjoués. Elle a échoué dans son entreprise. La Triple-Entente, comme l’a déclaré M. Viviani, n’a pas cédé à la pression dont elle a été l’objet. Elle a subi l’épreuve de la guerre et elle y a résisté. La France est restée fidèle à son pacte avec la Russie, quoique Guillaume II, comme l’indiquaient les démarches et les avertissements préalables de M. de Schœn à Paris, ait escompté une défaillance. La Belgique, par un haut fait qui restera mémorable dans l’histoire, a repoussé les sommations du puissant Empire. L’Angleterre, contre l’attente de l’Empereur et de son peuple exaspérés de leur propre méprise, s’est gardée de recommencer son erreur de 1870. Malgré la puissance de ses armées, la plus formidable machine de guerre que le monde ait vu, malgré sa préparation et son organisation, poussées à un degré qui jamais n’avait été atteint, l’Allemagne a été vaincue sur les rives de la Marne, et sa supériorité militaire a dès lors été mise en discussion. Les neutres ne l’ont plus tenue pour invincible : considérable changement dans l’atmosphère européenne. Surtout, l’Europe a compris que son repos, sa sécurité, sa civilisa-