Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/151

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tion étaient incompatibles avec l’existence d’une grande Allemagne unie, que nulle entente ne serait jamais possible avec cet État-brigand. Quoi qu’il arrive, une idée restera souveraine : c’est que la puissance allemande est le fléau du monde européen.

Quelque favorable que puisse apparaître l’avenir, n’oublions pas cependant que l’histoire aime la complexité autant qu’elle a horreur des solutions simples. Tant d’intérêts, d’aspirations, de besoins, de forces restent en présence, qu’il est plus sage de douter que, même après cette guerre gigantesque, un ordre nouveau, définitif, satisfaisant pour tous, puisse être trouvé d’un seul coup. Il importe de se souvenir que la politique vit surtout de compromis, de solutions moyennes, qui laissent la porte ouverte à de nouvelles difficultés, à de nouveaux conflits. L’idée de nationalité et l’idée de race travaillent l’Europe depuis une centaine d’années. Qui peut répondre que ces idées n’animeront pas, à leur tour, d’autres peuples qui semblent aujourd’hui en sommeil, qu’elles ne détermineront pas d’autres catastrophes ? La France a été directement atteinte par l’unité allemande. Elle vient, par un choc en retour, de soutenir une grande guerre sortie des suites de cette unité et amenée par de nouveaux enfantements de nations dans l’Europe orientale. Qui nous dit que ces causes cesseront d’agir, que d’autres événements semblables ne porteront pas sur nos destinées le même contre-coup ?

L’espérance que nous pouvons nourrir, c’est que, si l’Allemagne est bien vaincue, le régime qu’elle a imposé au monde et qui, par une effroyable régression, met sous les armes toute la population mâle de l’Europe (idée qui eût fait frémir d’horreur les Français d’autrefois), pourra, devra être aboli. La guerre à la façon germanique, la guerre sauvage des nations armées deviendra alors un des plus mauvais souvenirs de l’humanité. Le siècle où l’Allemagne fut unie et puissante passera pour un siècle de fer. Quant à connaître le repos complet, quant à être assurés de vivre pour eux-mêmes, sur eux-mêmes, sans craindre d’être entraînés dans de nouveaux conflits, les peuples ne pourront de longtemps l’espérer. L’histoire est lente. Ses retours, ses méandres sont perfides. Une des pires illusions qu’une nation puisse entretenir consiste à penser qu’il est en son pouvoir, par sa seule volonté, d’échapper aux