Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/211

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mains le sort de l’Allemagne a décidé de l’avenir. La Russie avait sauvé la Prusse. La France l’avait ménagée. L’Angleterre avait fermé les yeux : somnambule réveillée seulement en 1914, elle devait être la dernière à comprendre le péril allemand. L’autocratie russe, le césarisme démocratique français, le parlementarisme britannique, pour des raisons diverses, ont été également insensibles à leur bien et à leur mal.

Le Moscovite surtout n’avait rien vu et rien compris. Il restait grossièrement fidèle à la lettre de la Sainte-Alliance et le subtil Metternich n’était plus là pour lui en faire entendre l’esprit. Nicolas Ier combattait la révolution à tort et à travers. La Russie ayant été, des grands États continentaux, le seul épargné par les convulsions de 1848, disposait d’une supériorité de force indiscutable. Nicolas Ier, jusqu’à la guerre de Crimée, pouvait tout en Europe. Mais la politique russe restait asiatique. L’empereur ne concevait qu’une chose : la lutte contre les idées révolutionnaires. Indistinctement, il étouffait la révolution hongroise pour sauver les Habsbourg, puis il venait sauver le roi de Prusse, ennemi de ces mêmes Habsbourg. Il lui manquait d’être éclairé sur les finesses. Sa force bien employée aurait pu être infiniment bienfaisante. Elle n’était pas dangereuse, contrairement à ce qu’on a longtemps pensé. Car, avant bien d’autres signes, la guerre de Crimée n’allait pas tarder à prouver que le colosse russe avait des pieds d’argile.

Obscurément, comme un géant naïf, Nicolas Ier se rendait compte que, pour faire une politique de conservation intelligente, il lui manquait quelque chose : les conseils et l’appui de la France. « Personne ne bougera et ne pourra rien en Europe tant que la Russie et la France seront unies et se donneront la main », disait-il, précisément au moment d’Olmütz. Il ne voulait pas de l’unité allemande, « ce rêve de professeurs », comme il disait avec dédain. Alors, de toute évidence, rien n’eût été plus facile à une alliance franco-russe que d’empêcher une grande Allemagne de naître. Mais cette alliance, la démocratie française n’en voulait pas. Elle l’avait en horreur au temps où la France et la Russie alliées eussent été toutes puissantes et en mesure d’épargner des maux affreux aux races futures. L’alliance franco-russe ne s’est nouée que quand le mal a été