Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/254

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dation du fait accompli, les opinions et les partis se classèrent naturellement selon les catégories usuelles qui remontaient aux luttes et aux conflits antérieurs.

La catastrophe ne donnait que trop raison aux hommes qui l’avait annoncée : Thiers, que personne n’écoutait cinq ans plus tôt, dont les avertissements étaient même accueillis par des risées, fut élu dans plus de vingt départements : il lui était décerné une sorte de dictature du bon sens, flatteuse pour son ambition. Auprès de Thiers, qui formait la majorité de l’assemblée ? Des conservateurs de toutes les nuances, légitimistes, orléanistes. Pour faire la paix, la France s’était tournée vers les partisans des régimes qui, dans le passé, avaient évité les aventures ou qui s’y étaient opposés. Ce scrutin était vengeur. Il est aussi la seule réparation publique que la nation désabusée ait donnée aux deux monarchies qui, de 1815 à 1848, lui avaient épargné des Waterloo et des Sedan, de la vaine gloire soldée par des invasions.

Cependant l’idée du plus grand nombre des électeurs n’allait pas beaucoup plus loin. Ils avaient plébiscité la paix dans la personne des hommes et des partis qui, depuis 1815, représentaient la paix, et qui, pour la plupart, se trouvaient être des monarchistes. Pour que la monarchie sortît de là, il aurait fallu qu’elle fût faite sans retard. Un des élus de la droite, le vicomte de Meaux, avait parfaitement compris et a très bien défini la nature de son mandat « Nous avions été nommés », a-t-il écrit dans ses Souvenirs, « avant tout pour faire la paix. L’horreur de la guerre avait décidé de notre élection. » Et le parti qui, à ce moment, signifiait la guerre, ce n’était pas le parti bonapartiste, écrasé sous la réprobation générale, dispersé par la tempête. C’était le parti d’où le bonapartisme était issu vingt ans plus tôt, c’était le parti démocratique redevenu tout entier républicain. Qui donc incarnait la guerre à outrance ? Quels étaient les « fous furieux », comme Thiers les appelait brutalement, qui voulaient continuer la lutte, qui refusaient de capituler devant l’ennemi et de lui céder, pour prix de la défaite, deux provinces de la France une et Indivisible ? C’était Gambetta et ses amis, les hommes de la Défense nationale. C’étaient les survivants d’une génération plus ancienne, Louis Blanc, par exemple, héritier de la tradition et du romantisme révolu-