Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/267

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reconquérir. Et les retrouver « rien que » par l’ascendant du droit, c’était plus tranquillisant encore.

Ces nuances savantes, qui conciliaient tout, n’échappaient pas aux oreilles à qui elles étaient destinées. Jusqu’en politique étrangère il fallait de l’ « opportunisme » pour asseoir la République.

Mais ce n’était pas assez de dire qu’on n’était pas soi-même la guerre, si l’on ne rejetait l’accusation sur les autres. Le parti républicain associa l’idée de péril extérieur à sa lutte contre le cléricalisme. Il était facile de soutenir qu’une politique catholique au dedans aurait pour corollaire au dehors la défense du pouvoir temporel de la papauté. Et comment rendre Rome au pape sans l’arracher d’abord à l’Italie ? C’était l’argument à l’usage de la foule et il était d’un effet infaillible. Mais les têtes pensantes de la gauche en savaient davantage et voyaient plus loin. Par la force des choses, une France gouvernée par des catholiques, qu’elle fût Monarchie ou République, polariserait en Europe tout ce qui restait hostile aux événements d’où l’unité italienne et l’unité allemande étaient sorties. L’Autriche et les éléments particularistes d’Allemagne, encore mal ralliés à la Prusse, se tourneraient vers Paris dans l’espoir d’une revanche commune. C’eût été la « politique blanche » que Bismarck avait calculée comme une des possibilités de l’avenir et à laquelle il était résolu à s’opposer. Son Kulturkampf, forme impériale et politique de l’anticléricalisme, n’avait pas d’autre raison. Bien qu’il laissât dire le contraire, la question religieuse lui était indifférente. C’était le catholicisme allemand comme force « centrifuge », ennemie de l’Empire, qu’il voulait briser. La preuve en est qu’il fit sa paix avec lui et avec le pape dès qu’il jugea que le péril était écarté. Avec sa franchise brutale il a d’ailleurs, plus tard, dévoilé tout son secret.

En 1876 et 1877, le parti républicain français a-t-il pris pour argent comptant l’anticléricalisme bismarckien ? A-t-il cru y voir le frère de son anticléricalisme dogmatique ? Il est peu probable, en tout cas, que Thiers ait eu cette illusion. A aucun degré Thiers n’était anticlérical. Jusqu’en 1870, sa politique, hautement affirmée, avait été « romaine ». Il avait combattu la politique italienne du second Empire pour plusieurs raisons, en particulier parce qu’elle portait atteinte aux intérêts