Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/321

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mérovingiennes, car déjà Charles et Carloman avaient peine à s’entendre. L’État français ne sera vraiment fondé que le jour où le pouvoir se transmettra de mâle en mâle par ordre de primogéniture. Il faudra attendre les Capétiens.

Cependant Charlemagne eut le bénéfice de l’unité. Il eut aussi celui de la durée. Non seulement l’intelligence et la volonté du souverain étaient supérieures, mais elles purent s’exercer avec suite pendant quarante-cinq ans.

Dès qu’il fut le seul maître, en 771, Charlemagne se mit à l’œuvre. Son but ? Continuer Rome, refaire l’Empire. En Italie, il bat le roi des Lombards et lui prend la couronne de fer. Il passe à l’Espagne : c’est son seul échec. Mais le désastre de Roncevaux, le cor de Roland, servent sa gloire et sa légende : son épopée devient nationale. Surtout, sa grande idée était d’en finir avec la Germanie, de dompter et de civiliser ces barbares, de leur imposer la paix romaine. Sur les cinquante-trois campagnes de son règne, dix-huit eurent pour objet de soumettre les Saxons. Charlemagne alla plus loin que les légions, les consuls et les empereurs de Rome n’étaient jamais allés. Il atteignit jusqu’à l’Elbe. « Nous avons, disait-il fièrement, réduit le pays en province selon l’antique coutume romaine. » Il fut ainsi pour l’Allemagne ce que César avait été pour la Gaule. Mais la matière était ingrate et rebelle. Witikind fut peut-être le héros de l’indépendance germanique, comme Vercingétorix avait été le héros de l’indépendance gauloise. Le résultat fut bien différent. On ne vit pas chez les Germains cet empressement à adopter les mœurs du vainqueur qui avait fait la Gaule romaine. Leurs idoles furent brisées, mais ils gardèrent leur langue et, avec leur langue, leur esprit. Il fallut imposer aux Saxons la civilisation et le baptême sous peine de mort tandis que les Gaulois s’étaient latinisés par goût et convertis au christianisme par amour. La Germanie a été civilisée et christianisée malgré elle, et le succès de Charlemagne fut plus apparent que profond. Pour la « Francie », les peuples d’Outre-Rhin, réfractaires à la latinité, restaient des voisins dangereux, toujours poussés aux invasions. L’Allemagne revendique Charlemagne comme le premier de ses grands souverains nationaux. C’est un énorme contre-sens. Ses faux Césars n’ont jamais suivi l’idée maîtresse, l’idée romaine de Charlemagne : une chrétienté unie.