Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/646

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pour casser la nouvelle Chambre et gouverner, selon l’article 14 de la Charte, par « des ordonnances pour le salut de l’État ». Ils prenaient, en particulier, des mesures contre la presse qui n’avait pas craint, même la presse « nationale », de publier des informations propres à nuire à l’expédition d’Afrique. La censure de guerre, qui nous a paru si naturelle, faisait, en 1830, crier à un attentat contre la liberté.

Le roi et son ministre, par une étrange imprudence, ne tinrent aucun compte de l’agitation qui commençait à Paris. Charles X était convaincu de n’avoir affaire qu’à une résistance légale, comme lui-même, appuyé sur l’article 14, était dans la légalité. Le jour où l’émeute éclata, il partit tranquillement pour la chasse. Aucune précaution n’avait été prise. Le ministre de la Guerre était aux eaux. La garnison de Paris était réduite à 14 000 hommes, des troupes ayant été prélevées pour la campagne d’Alger. Des régiments sûrs étaient à Saint-Omer à cause des affaires de Belgique ou dans d’autres villes de province pour des cérémonies. Les 27, 28, 29 juillet, les insurgés, venus des faubourgs et du quartier des écoles, s’emparèrent de Paris, dressant des barricades, arborant les trois couleurs, tandis que la bourgeoisie laissait faire. Cette insurrection avait quelque chose de commun avec les idées des doctrinaires, des libéraux, qui avaient rédigé l’Adresse, des classes moyennes qui les avaient réélus. C’était une explosion des sentiments que Charles X avait voulu apaiser par de la gloire et des conquêtes, tandis que l’Algérie était une diversion dérisoire pour un peuple toujours traditionnel : l’idée républicaine et bonapartiste se confondait avec la haine des traités de 1815. « Les combattants des journées de Juillet, dit Émile Bourgeois, n’avaient pas fait une émeute analogue à celle de 1789. Ils avaient pris les armes contre l’Europe au moins autant que contre Charles X et rêvé surtout de la République conquérante et de l’Empire. »

Le roi, retiré à Rambouillet, abdiqua en faveur de son petit-fils le duc de Bordeaux, et nomma le duc d’Orléans lieutenant-général du royaume. C’eût été, Guizot l’a reconnu plus tard, la solution politique. Elle eût évité une division qui allait tout de suite affaiblir la nouvelle monarchie : la division des partisans de la branche aînée des Bourbons, la branche légitime, et