Page:Bainville - Heur et Malheur des Français.djvu/90

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des Hohenzollern étaient liées. Et ainsi les philosophes flattaient la passion misonéiste et la simplicité de la foule. Ils paraissaient « avancés », ils figuraient le progrès en face des forces réactionnaires (Bourbons, Habsbourg), alors qu’en servant la cause de la Prusse leur pensée enfantine et sommaire préparait un retour de la barbarie et ménageait à la civilisation et aux générations à naître les plus sombres destinées.

Le fait que les écrivains émancipateurs du dix-huitième siècle, en dépit de leurs prétentions à représenter les « lumières », n’ont pas vu, ont refusé de voir le péril prussien, est écrasant pour leur philosophie politique. Non seulement de pareils esprits devaient exposer la France à des catastrophes le jour où ils en auraient le gouvernement, mais leur erreur même prouvait leur inaptitude à comprendre la marche des choses et à servir le progrès dont ils s’étaient réclamés. En se retournant contre la Prusse et en se rapprochant de l’Autriche, la monarchie française avait représenté qu’il importait de « s’élever au-dessus d’un préjugé de trois siècles ». Les philosophes n’ont eu ni la vigueur ni la liberté intellectuelles nécessaires pour rejeter le poids de ce préjugé. Ils ont montré la servitude de leur pensée, leur goût de la routine. Ils ont été au niveau de la foule ignorante et sans critique. Et c’est cette foule qui devait expier plus tard ce péché contre l’esprit. Les Français du dix-huitième siècle, qui méprisaient l’oeuvre de nos rois et de nos ministres, qui reconstruisaient le monde sur des « nuées », n’ont pas assez apprécié le bienfait de vivre en un temps tel que le leur. Ils n’ont pas connu le service obligatoire et universel. Ils n’ont pas su ce que c’était que l’invasion. À tous les points de vue, lettres, arts ou commerce, ils ont même profité, dans « l’Europe française », du prestige politique, de l’ascendant conquis par les travaux de la royauté. Et c’étaient eux qui se plaignaient ! Nous aimerions les voir dans l’Europe de fer et de sang qu’ils nous ont léguée !…

La coalition de la France, de l’Autriche et de la Russie, celle dont la crainte devait donner plus tard des « cauchemars » à Bismarck, était si bien conçue qu’elle faillit causer la destruc-