Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/136

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contenu. Non seulement il est impossible de tout savoir ni de tout approcher, mais encore toute velléité d’aller dans ce sens est inutilisable, donc condamnable.

Tu as souvent entendu nos amis détenus dire à quel point l’incarcération exaspérait l’attente (celle du jugement, de l’avocat, du courrier, du parloir, de la permission, de la conditionnelle, de la commutation, de la libération). Nous sommes en prison. L’école n’en est pas seulement l’image exacte par la privation de liberté et l’enfermement, mais aussi par cette course (cursus) qui fait que chaque obstacle franchi ne nous amène qu’au suivant. Isolés, frustrés, à travers l’enseignement nous voyons la vie par le gros bout de la lorgnette et ne comprenons plus rien. La spécialisation des tâches fait que personne ne sait à quoi il est utilisé au juste : sois aussi limonadier que possible, sois aussi professeur que possible, sois aussi amiral que possible. Qui mesure le rapport ? Y a-t-il un rapport ? Entre quoi et quoi ?

Question naïve : au cas où il n’y aurait aucun rapport, qu’appelle-t-on société ? Serait-ce ce consensus de silence sur le rapport ?

Pour avoir simplement le droit de manger, nous devons travailler. Les miséreux peuvent être « bons (bonnes) à tout faire », mais un homme digne de ce nom se doit d’avoir un métier. Quelques rarissimes professions exigent un perfectionnement quotidien pendant la vie entière, mais qui peut me faire croire que le professionnalisme, tel que les études le déterminent, offre le moindre intérêt pour chacun si ce n’est d’éviter justement de « devoir encore tout apprendre » ? Le mortel ennui où s’enfoncent les hommes vient en grande part de ce que l’école leur a assigné une formation professionnelle et une seule. Et comme c’est petit, comme c’est sordide un métier pour toute une vie ! Du temps où les gens croyaient au paradis, passe encore… Mais aujourd’hui, comment font-ils, mon Dieu, pour mourir en n’ayant exercé qu’une malheureuse petite profession durant toute leur vie ?

L’école n’est pas qu’un mauvais moment à passer. Quand bien même elle ne ferait main basse que sur notre jeunesse, elle vaudrait – ô combien – qu’on la détruise comme une abjecte nuisance, mais elle nous dirige dans tel ou tel secteur professionnel pour le reste de nos jours.

Tu me connais, Marie, maniaque comme je suis, je serais incohérente de nier la compétence. J’aime que tout travail soit raffiné. Alors, bien sûr que les compétences, ça existe, mais n’importe quel individu qui en a le désir et le temps peut les acquérir. Je me mets en apprentissage auprès d’un médecin pour qui j’éprouve de l’estime, ce pendant sept ou huit ans,