Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/161

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mystères dont je pressens qu’ils concernent des parts de moi très profondes.

Je ne sais pas encore si Clémence peut parler quand je lui demande si elle veut bien que je m’asseye à côté d’elle.

« Oui, viens là. »

Je m’enfonce lentement dans une conversation qui durera au moins une heure. À travers des phrases hachées, entrecoupées parfois de ses petits cris, nous parlons de l’eau, de la nervure des feuilles, de sa mère, de la neige, de ses mains, des règles. De plus en plus troublée, je m’aventure en cette parole insolite. Mais j’entends qu’on bat le rappel, il faut partir ; j’en éprouve tristesse et agacement. Je rejoins les éducateurs et les autres enfants. Une petite fille de six ans, avec de grands jappements, se jette dans mes bras. Un éducateur me dit : « Ne te laisse pas faire, tu vas te faire bouffer. » Je réponds que ça ne me coûte rien, que je ne reste que deux jours, mais un de ses collègues dit plus fermement : « Il faut penser à l’enfant ; toi, tu ne fais que passer mais elle peut beaucoup trop investir en toi. »

O.K. boys ! Je saisis. Mais il n’empêche que Clémence est à quelques pas et que j’ai des envies d’enlèvement.

Au réfectoire, elle vient s’asseoir près de moi. Je me sens fondre. Cependant, elle ne répond que par le mot « moi » aux questions que je pose.

À la fin du repas, je la suis. Je voudrais lui dire bonsoir, juste bonsoir. Mais pas devant tout le monde. En bas de l’escalier, face à elle, je ne sais plus ce que je suis venue faire. Nous restons silencieuses, je la regarde dans les yeux. « Tu me vois ? » « Moi. » Je passe doucement ma main sur son visage. Mon cœur bat très fort. Je monte. Elle se couche, je ferme les volets. Dans l’obscurité je n’ose l’embrasser, je murmure « bonne nuit, Clémence » et me dirige très lentement vers la porte. Là, elle m’arrête : « Caresse ! » je suis éperdue et n’obéis pas tout de suite, elle réitère son ordre, froidement. La seule chose que je sais, c’est que partout ailleurs, en tant que femme, en tant que mère, j’ai l’autorisation de câliner les enfants. Ici non. Ici, l’institution dit que c’est trop grave, que je suis adulte et responsable, oncques dois comprendre le rôle « socialisant » exigible de toute personne « saine d’esprit » amenée à fréquenter ces enfants. Le but de l’institution est clair : intégrer les enfants, éventuellement comme rebuts, et récupérer, parmi les paumés suicidaires mal dans leur peau, des éducateurs, le tout dans une morale qui, sous le moderne