Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/28

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voudrais que chacun puisse réagir comme toi et s’indigner de cette manière à la lecture que je viens de te faire… C’est vrai que tu n’es pas « habituée ». Il m’a fallu à moi beaucoup de temps et de travail pour me désaccoutumer du pire et il n’y a pas de repos en cette entreprise. J’aime aussi cette autre phrase de Gilliard : « Ce qu’on appelle l’ordre établi n’est qu’un état de violence entré dans l’habitude. Il n’y a pas d’injustice, d’injure, d’iniquité, d’indignité, de brutalité, de barbarie à qui la durée ne puisse conférer, par l’accoutumance “morale”, une apparence de civilité, un air de décence, des dehors de bienséance […][1]. »

On envoie ses mômes à l’école parce que ça se fait. « La tradition ne cesse de couvrir des trahisons[2]. » Mais ce qui me renverse, c’est de voir comment, quand on a pris l’habitude d’accepter, on accepte tout et pas seulement ce que le poids du passé entérine. Ainsi une longue panoplie de moyens de coercition « psy » se met en place et tout le monde trouve ça normal ! Personne ne s’étonne que dans les écoles maternelles fleurissent des « dessins de bonshommes ». Et moi je dis que chez les enfants déscolarisés du même âge, là où on est moins hanté par la paranoïa de l’« interprétation », on ne trouve que rarement ce genre de dessins (vérification faite de visu dans une dizaine de lieux !). Quand on dit « Tous les psychologues sont d’accord pour dire que le meilleur âge pour apprendre à lire, c’est six ans », pas un qui bronche. Et à mes questions naïves, la seule réponse que je me sois jamais attirée de la part des spécialistes a été : « C’est scientifiquement prouvé. » Alors, après ça, ceux qui savent encore s’intéresser à ce qui les contredit (race bien rare) s’étonnent d’apprendre que la plupart des difficultés d’apprentissage de la lecture ont disparu en Suède depuis qu’on en a fait passer l’âge à sept, huit ou neuf ans[3].

En général, et dans le domaine du mental en particulier, « ce qui est scientifiquement prouvé » me met toujours en état d’alerte. Car je veux connaître l’étalon des mesures, savoir au juste sa valeur, qui l’a établi, qui s’en sert et à quelles fins.

Sans tergiverser, je présume coupable toute tentative d’extorsion de renseignements telle que le questionnaire ci-dessous tiré à quatre mille exemplaires, adressé à des parents d’élèves d’écoles publiques à Paris.

  1. L’École contre la vie, op. cit.
  2. Ibid.
  3. Cf. La Fatigue à l’école, Dr Guy Vermeil, Éd. sociales de France, 1976.