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– Ce n’est pas beau de rapporter. Va jouer ailleurs. »

Sarah, penaude, se réfugie dans un coin où Virginie revient la persécuter. Des garçons s’en mêlent. Bagarre. Cris. Mais les instits sont modernes : il ne faut pas intervenir. Leurs bagarres, ça les regarde.

Amnesty… Amnesty… ?

Si quelqu’un, adulte ou enfant, te tirait les cheveux, te faisait boire la tasse, t’attaquait d’une manière ou d’une autre, j’espère bien que je viendrais à ton secours, je le ferais pour tous ceux que j’aime et j’attends de toi la même aide et protection. D’où ça vient cette idée ahurissante qu’il faut laisser les mômes se battre entre eux ? Il n’y a pas de mômes. Ça n’existe pas les mômes. C’est une vision de l’esprit (quand il n’est pas tout à fait clair). Dans une bagarre, j’interviens si on appelle à l’aide et si j’en ai le courage. Et l’âge n’a rien à voir dans cette histoire. Je reste à l’écart si on ne crie pas ou si j’ai trop peur. Mais je n’irai pas déguiser ma peur en « respect de l’enfant » alors que, constamment, l’enfant est outragé.

La plupart des gens ont oublié leur enfance. Sinon, jamais ils ne pourraient se conduire envers les mômes avec un sadisme aussi bête. Tous ceux qui devinent le cruel décalage entre l’adulte et l’enfant aiment ce merveilleux petit livre de Janusz Korczak : Quand je redeviendrai petit[1]. C’est un chef-d’œuvre de justesse et j’ai souvent le cœur serré quand je le reprends.

On a tant de mal à se remettre dans la peau de l’enfant qui dépend complètement des grands. Attendre… Attendre le bon plaisir du prince… Quoi qu’on veuille se procurer, il faut demander, toujours réclamer, faire des minauderies, promettre d’être sage, de ne pas abuser. Et toujours s’exposer au refus. Quémander vous rend avide. Pas étonnant qu’il y ait des timbrés pour tirer sur celui qui touche à leur voiture.

La mendicité obligée de l’enfance est aussi à l’origine de la peur ; c’est l’insécurité absolue, la pauvreté absolue et la menace odieuse contenue dans toute dépendance. L’enfant ne sait rien de demain. Quoi de plus angoissant que de s’entendre répondre : « Tu verras bien ! » ? J’ai vu des adultes faire des crises de nerfs pour moins que ça. Car il est vrai qu’on a le droit le plus entier de savoir.

L’enfant vit en famille dans une menace vague qu’il peut d’autant moins circonscrire qu’elle se noie dans l’affection. À l’école, les sources les plus profondes de l’insécurité permanente, la peur de faire de la peine à ses parents, celle d’être séparé de ses amis, celle, bien enfouie, de jouer

  1. C’est à la suite de Le Droit de l’enfant au respect, Janusz Korczak, Robert Laffont, 1979.