Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/90

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Korczak lui-même qui a aimé les orphelins dont il avait la charge jusqu’à vouloir mourir avec eux dans le ghetto de Varsovie, Korczak raconte comment, plongé dans des comptes difficiles, il est dérangé toutes les minutes par des gamins. Arrive un petit garçon qui vient juste lui apporter un bouquet de fleurs. Il jette le bouquet par la fenêtre, attrape le gosse par l’oreille et le met à la porte. En disant qu’on traite les enfants comme jamais on ne traite ses pairs, il ne fait pas plus que moi de moralisme. Je sais tout à fait qu’il est impossible d’être toujours patient face à des individus qui n’ont pas encore perdu toute spontanéité et qui savent encore crier, courir, réclamer de l’amour, jouer. L’école comme concentration d’enfants ne peut qu’être répressive. Il est parfaitement exact que les enfants y sont insupportables et énervés. On le serait à moins. Marie, j’ai fait en sorte que non seulement tu ne souffres pas de la tyrannie des adultes, mais encore que tu ne sois pas, toi, réduite à les tyranniser. Où que tu sois passée, on t’a trouvée délicate, enjouée, attentionnée, montrant avec les adultes la même patience qu’avec les tout-petits ; toujours je serai en admiration devant le climat de liberté que tu sais créer autour de nous. Je craignais bien un peu de vivre à deux et je t’interrogeais lorsque tu étais dans mon ventre, délicieusement étrangère ou étranger à moi, inconnue, inconnu. « Dis, enfant, saurons-nous vivre ensemble ? Nous entendre ? Est-ce difficile d’habiter à deux dans une même maison ? Nous aimerons-nous ? Si nous ne nous aimons pas, saurons-nous trouver des modes de vie satisfaisants ? » Il me semblait que tu donnais la parfaite réponse en étant simplement là. Tout souriait en moi. Je suis si heureuse de te connaître et d’avoir pu t’éviter de vivre huit heures par jour dans la meute !

Oh je sais bien que l’enfant n’est pas maltraité qu’à l’école et que la famille, qui est supposée être le lieu de la tendresse, est d’abord celui de toutes les violences, de toutes les haines. Les deux idées coexistent : la famille est l’asile privilégié où l’on peut se mettre à l’abri du monde hostile ; mais aussi l’école pour l’enfant, le travail pour la femme (plus rarement, pour l’homme) sont les refuges où l’on fuit l’« enfer familial ». C’est un monde bien cruel que celui d’où l’on cherche constamment dans la panique à s’évader.

Dire qu’en famille se déchargent les frustrations que jamais les uns ni les autres n’oseraient avouer à des tiers n’est qu’une lapalissade. La famille est l’espace où l’on peut être « naturel », c’est-à-dire brutal. On y échange des méchancetés dont tous les témoins sont tenus au secret. John Holt, le très intelligent, dit que tout esclave peut posséder, en ses