Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/95

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c’est bien amener les enfants à accéder à ce “savoir” qu’ils refusent. Or, me direz-vous, “on ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif”. Freinet nous l’a assez répété. C’est vrai. Mais ici, dans notre réalité quotidienne, les choses sont différentes : le cheval a soif mais, le plus souvent, il ne peut pas boire, sa “folie” l’en empêche. Il se peut qu’il ne “veuille” pas, mais cette volonté ne relève pas d’un libre choix, d’un libre arbitre. Le refus ou l’impossibilité sont des symptômes d’un mal-être, ou d’un non-être, dont il nous faut bien tenir compte pour notre pratique quotidienne, mais qui ne doit pas nous empêcher d’entreprendre un réel travail d’enseignement auprès de ces enfants qui se sont quasiment mutilés d’une partie d’eux-mêmes pour mieux résister à une insupportable réalité tant intérieure qu’extérieure. »

Ce qui me tourmente, c’est cette espèce d’inconscience qui fait du plus terrifiant une pacotille. Au mur, pour le son « oi », elle affiche : « À l’école, c’est la maîtresse qui fait la loi » ; elle nous dit ça et ajoute une note : « Ce qui est absolument faux, la maîtresse ne fait pas la loi, mais elle la fait respecter. Ce jour-là, j’ai sans doute rétabli une situation normale dans ma classe, et j’ai aussi induit mes élèves en erreur. Je ne ferais plus écrire le même texte maintenant. »

Est-ce que j’ai bien lu ? D’où vient que sa manière de s’exprimer me rende folle ? La suite du texte fait que de toutes mes forces, de toute mon âme, je désire qu’un immense hurlement des enfants et de leurs alliés fasse éclater les vitres et les murs de toutes les écoles. Elle poursuit ainsi la maîtresse : « Moi qui prêchais autrefois — comme c’est loin, en effet — l’autodétermination des enfants, la libre expression, etc. En réunion de synthèse, on se retrouve parfois plusieurs à oser évoquer ce rôle désagréable que nous sommes amenés à jouer, qui va à l’encontre de nos convictions profondes d’adultes, nous qui avons réellement foi en l’autre, qui posons a priori, dans notre rapport quotidien aux choses ou aux êtres, que la règle première d’action est d’accorder confiance… »

Elle dit aussi que son rôle de flic « rassure les enfants » et que « c’est très difficile à assumer ». Comme j’ai peur, ma petite fille, quand je sens monter cette dégoûtante odeur de complicité faussement malheureuse.

La tutelle qu’on exerce sur les enfants et les fous est, d’un point de vue tendanciel, la tutelle qui nous menace tous dès lors que nous vivons en critiques, en hors-la-loi, les rapports sociaux. La norme est adulte. Est adulte celui sur qui le temps a passé et qui ne s’étonne plus. Qui ne s’étonne plus ne s’indigne plus.