Page:Baker - Insoumission à l'école obligatoire, 2006.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Là, quelqu’un, habillé de la blouse blanche du savant, explique qu’il s’agit de faire apprendre à un soi-disant étudiant des listes de mots en vue d’une recherche sur les processus de mémorisation. L’élève est assis sur une sorte de chaise électrique et le sujet qui est donc censé lui faire apprendre les mots doit lui envoyer des décharges de plus en plus violentes jusqu’à ce qu’il réponde juste. En réalité, l’élève supposé est un acteur et ne reçoit aucun courant. Mais il va mimer le désagrément, puis la souffrance, puis l’horreur du supplice et enfin la mort au fur et à mesure que les sujets appuieront sur les manettes graduées de 1 à 30, de 15 volts à 450 volts. Sur la rangée des manettes sont notées des mentions allant de « choc léger » à « attention, choc dangereux » en passant par « choc très douloureux », etc. À quel instant le sujet refusera-t-il d’obéir ? Le conflit apparaît lorsque l’élève commence à donner des signes de malaise. À 75 volts, il gémit, à 150 volts, il supplie qu’on le libère et dit qu’il refuse de continuer l’expérience, à 425 volts, sa seule réaction est un cri d’agonie, à 450 volts, plus aucune réaction.

L’intérêt de cette expérience, c’est que 98 % des sujets acceptent le principe même de cet apprentissage fondé sur la punition. 65 % iront jusqu’aux manettes rouges (le sujet a été prévenu qu’elles pouvaient causer des lésions très graves, voire la mort), la dernière est celle de la mort assurée.

Or il ne s’agit nullement d’une expérience sur le sadisme, comme le montrent les multiples variantes qui ont été tentées et analysées. Car la tendance générale des résultats prouve qu’à une forte majorité les sujets ont administré les chocs les plus faibles quand ils ont eu la liberté d’en choisir le niveau. On en a vu également qui « trichaient » lorsque le « savant » s’absentait, assurant faussement qu’ils avaient bien « puni » l’élève. Il faut bien garder cela à l’esprit quand on parle de l’étude de Stanley Milgram.

Ce qui est terrifiant, ce n’est donc pas l’agressivité humaine mais autre chose que met formellement en évidence cette expérience : la soumission à l’autorité. En effet, les sujets ne punissent l’élève que sur la seule injonction donnée par le professeur : « Il le faut. » Ils torturent ainsi « pour rien » quelqu’un qu’ils n’ont aucune « raison » de maltraiter si ce n’est qu’on leur ordonne de le faire. Et attention ! L’ordre de continuer est donné par le « savant » d’une voix courtoise sans aucune menace[1]. Le

  1. L’expérimentateur utilisait dans l’ordre quatre « incitations » : 1) Continuez, s’il vous plaît ; 2) L’expérience exige que vous continuiez ; 3) Il est absolument indispensable que vous continuiez ; 4) Vous n’avez pas le choix, vous devez continuer.