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inculture crasse. En Occident, la condamnation terrible de la faute lors d’un jugement de l’âme après la mort s’enracine dans le culte orphique, introduit en Grèce entre le VIIe et le VIe siècle avant notre ère ; ses origines se perdent dans les traditions védiques du deuxième millénaire, et il est vraisemblable que l’idée de la faute nous poursuivant dans l’au-delà était déjà à l’époque bien ancienne. L’orphisme a beaucoup influencé les Pythagoriciens puis Platon qui écrit par exemple dans le Gorgias que les âmes doivent comparaître nues devant les juges pour éviter qu’ils ne soient trompés par les apparences.

Sous tous les cieux, les humains scandalisés de voir l’éternelle injustice du monde, l’innocent maltraité par la vie, le joyeux scélérat prospérer et mourir tranquille, ont cherché à rétablir dans le séjour des ombres l’impossible équité. Mais l’au-delà est sans pitié. Des macérations épouvantables étaient censées apaiser les êtres suprêmes que ce soit chez les Sioux, en Indonésie musulmane ou dans les carmels français. Pas une religion pour sauver l’autre lorsqu’il est question des supplices réservés aux damnés. Chez les Scythes, les Aztèques, les Vikings, au fin fond de Bornéo ou du Malawi, à toutes les époques, sous toutes les latitudes, les dieux réclament vengeance. Nul besoin d’être coupable d’ailleurs pour attirer leur fureur. C’est assez d’être. Ainsi naît la tragédie.

Tout châtiment s’inscrit dans cette volonté irrationnelle de se soumettre au tragique. À l’origine, le coupable est celui que les dieux ou le destin désignent comme tel indépendamment même de la faute. Œdipe fait un coupable idéal : il n’est pas dit pourquoi il n’avait pas le droit de coucher avec sa mère, pas dit non plus pourquoi tout le monde avait trouvé très bien qu’il tue l’insolent malotru qui lui barrait la route, mais que ce meurtre est devenu faute quelques années plus tard quand on apprend qu’il s’agissait de son père. On n’explique pas parce que le propre du tabou est d’être affirmé et non raisonné. Œdipe est condamné par ses fils à renoncer à son pouvoir et à rester enfermé dans le palais. Auparavant le roi déchu s’est crevé les yeux. On dit peut-être un peu vite que c’est pour se punir. Pour se punir, il eût fallu qu’il se