Page:Bakounine - Œuvres t1.djvu/188

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tout le reste. Mais ce reste, c’est la sécurité, si vous voulez, ce n’est jamais la liberté. La liberté est indivisible : on ne peut en retrancher une partie sans la tuer tout entière. Cette petite partie que vous retranchez, c’est l’essence même de ma liberté, c’est le tout. Par un mouvement naturel, nécessaire et irrésistible, toute ma liberté se concentre précisément dans la partie, si petite qu’elle soit, que vous en retranchez. C’est l’histoire de la femme de Barbe-Bleue, qui eut tout un palais à sa disposition avec la liberté pleine et entière de pénétrer partout, de voir et de toucher tout, excepté une mauvaise petite chambre, que la volonté souveraine de son terrible mari lui avait défendu d’ouvrir sous peine de mort. Eh bien, se détournant de toutes les magnificences du palais, son âme se concentra tout entière sur cette mauvaise petite chambre : elle l’ouvrit, et elle eut raison de l’ouvrir, car ce fut un acte nécessaire de sa liberté, tandis que la défense d’y entrer était une violation flagrante de cette même liberté. C’est encore l’histoire du péché d’Adam et d’Ève : la défense de goûter du fruit de l’arbre de la science, sans autre raison que telle était la volonté du Seigneur, était de la part du bon Dieu un acte d’affreux despotisme ; et si nos premiers parents avaient obéi, toute la race humaine resterait plongée dans le plus humiliant esclavage. Leur désobéissance au contraire nous a émancipés et